Une copine en pleurs. Des parents sur les nerfs. L'ambassade canadienne au Japon alertée. Dix policiers, 40 pompiers et des hélicoptères mobilisés.

Des souvenirs inoubliables, j'en ramène des tonnes de mon premier voyage au Japon. Mais il y en a un dont j'aurais pu me passer (et mes proches et mon patron vous diraient sûrement la même chose...).

Dans la catégorie «ça n'arrive qu'en voyage», voici une histoire qui prouve que quand on prévoit découcher au Japon, vaut mieux prendre garde à tous les détails...

L'histoire débute dans la ville de Tsuruoka, dans la région du nord de Honshu. À l'ouest s'étale la mer du Japon; à l'est, c'est la plaine fertile du Shonai, avec ses rizières entourées... de montagnes.

Ce sont ces dernières qui m'ont attiré ici. Le plan: gravir les trois sommets sacrés du Dewa Sanzan, l'un des lieux les plus vénérés du Japon.

Après une nuit à Tsuruoka, je prépare un sac ne contenant que le strict nécessaire pour survivre trois jours en montagne et dormir dans les monastères qui pullulent dans la région. Le reste, je le place dans ma grosse valise que je laisse en consigne à l'hôtel. Agenda à l'appui, j'explique à la dame de l'hôtel que je reviendrai chercher ma valise dans trois jours.

«Tlee days»

«Tlee days, tlee days, yes, yes», répète-t-elle dans un anglais approximatif.

Les pédagogues vous diront qu'il y a un monde entre répéter et comprendre. Voyant que je ne suis pas de retour le lendemain pour récupérer ma valise, la bonne dame... alerte la police.

Tout ça, je l'ignore totalement alors que je fais une randonnée de tout premier ordre dans les montagnes.

J'ignore qu'un policier japonais a contacté ma blonde à Montréal pour l'aviser de ma «disparition». Que ma blonde a alerté mes parents et mes amis, qui ont à leur tour avisé mon patron.

J'ignore aussi qu'un avis de recherche est lancé à mon sujet. Qu'une dizaine de policiers et une quarantaine de pompiers japonais munis d'hélicoptères fouillent les montagnes pour me retrouver.

J'ignore que l'ambassade canadienne au Japon a été alertée. Qu'une amie à Tokyo a été mise au courant, rejoignant la liste sans cesse grandissante de gens qui se tracassent à mon sujet.

Heureuse insouciance

De retour à Tsuruoka trois jours plus tard, je me présente, insouciant, au bureau d'information de la ville pour m'enquérir de la localisation d'un guichet automatique.

La préposée me répond avant de s'informer de mon pays d'origine. Au mot «Canada», je la vois blanchir et fouiller fébrilement dans ses papiers. En la voyant ressortir une feuille où mon nom est écrit en grosses lettres, je me dis que soit j'ai grandement sous-estimé la réputation de mes fameuses brochettes sur BBQ, soit quelque chose, quelque part, ne tourne pas rond.

La deuxième hypothèse se confirme lorsqu'on me conduit au poste de police. L'émoi qu'y sème mon arrivée fait subitement grimper mon niveau de stress. Parce que personne ne parle suffisamment anglais pour m'expliquer ce qui se passe.

Il y a bien la dame du bureau d'information qui me pointe les termes «recherché» et «police» dans un dictionnaire anglais-japonais avec un grand sourire. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne partage pas complètement son enthousiasme.

Il faudra 15 bonnes minutes avant qu'un officier puisse m'expliquer de quoi il en retourne. Quinze longues minutes pendant lesquelles j'ai imaginé ma blonde écrasée sous un autobus, mon père terrassé par un infarctus et ma mère décédée d'une maladie aussi rare que subite.

Depuis cette aventure, je regarde ma valise avec crainte et respect. Car je sais maintenant qu'elle est capable de faire pleurer ma blonde et voler des hélicoptères.