Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire. Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

Qui?

Lucie Poulin, cycliste extrême qui a parcouru l'Amérique du Sud sur deux roues.

Quoi?

Au sud de la ville de Panama, la route se termine dans une jungle qui s'étend jusqu'en Colombie. Impossible de la traverser sans faire face aux guérilleros et aux narcotrafiquants. Il existe toutefois une façon peu commune de la contourner: emprunter un petit chemin jusqu'aux îles San Blas habitées par le peuple indigène Kuna Yala, puis attendre une occasion de prendre la mer des Caraïbes pour gagner la Colombie.

Où?

Panama

«Vite, ouvre! Les policiers arrivent!», me lance mon mari, en frappant à la porte fermement.

Je tire la chasse d'eau en vitesse et sors de la salle de bains de la station de péage à la sortie de la ville de Panama. Deux hommes costauds vêtus de gilets pare-balles, mitraillette en bandoulière, s'avancent vers nous et nos vélos de cyclotouriste. Sur l'insigne de leur uniforme, on peut lire «Policia Turismo».

«Je dois vous escorter», nous dit l'un d'eux, d'un ton autoritaire. C'est drôle, nous n'avons pas eu envie d'argumenter.

Nous étions à San Miguelito, un quartier de Panama peu hospitalier, voire hostile. Le gouvernement a conçu un corps de police spécialement pour y protéger les touristes. De cette manière, ils repartent intacts et reviennent en plus grand nombre pour contribuer au développement du pays.

Notre escorte bloquait une voie entière de la route Panaméricaine. Juste pour nous. En pleine heure de pointe. Normalement, en vélo, nous sommes près des gens: ils nous dévisagent, nous les saluons; ils nous posent des questions, nous leur répondons. Mais là, ils semblaient nous regarder avec un mélange de curiosité et de mépris.

Nos «amis» nous ont rendu notre liberté une vingtaine de kilomètres plus loin, en nous prévenant des risques qui nous attendaient. «La mala gente vole les touristes par ici.» Nous étions de nouveau seuls, devant l'inconnu, un peu inquiets.

Notre plan consistait à suivre les conseils d'un Américain rencontré au Nicaragua: à partir d'El Llano, dernier village sur la carte routière, emprunter un petit chemin en montagnes russes jusqu'au territoire des indigènes du Panama, sur la côte Atlantique. De là, se rendre dans l'île de Carti Sugdub, puis attendre patiemment le cargo qui dessert la région. Cela nous permettrait d'accéder à la Colombie en naviguant sur la mer des Caraïbes en plus de rencontrer les Kuna Yala.

La route, auparavant en glaise rouge, était à notre grande surprise semi-pavée depuis un an. Heureusement, car il s'agissait d'une série de vallons si abrupts que nous devions souvent finir la montée à pied et pousser nos vélos chargés comme des mules. Nous avons traversé une rivière, sans pont, large d'une vingtaine de mètres et profonde d'environ deux pieds. Quatre allers-retours ont suffi pour transporter notre équipement de l'autre côté... un peu mouillé. Pendant le portage, le passage d'un camion a en effet provoqué un déferlement emportant avec lui trois de nos sacoches.

Une cinquantaine de kilomètres plus loin, la mer nous attendait! Au loin, l'archipel des îles San Blas: 350 au total, dont 49 habitées par les Kuna Yala. Sur celles-ci, toutes les habitations sont construites en bambou et en feuilles de palme. Les femmes ont les cheveux noirs très courts et portent l'habit traditionnel: sandales, bas tressés en billes des chevilles aux genoux, blouse bouffante et jupe colorée. De petites ruelles en labyrinthe permettent de se rendre d'un bout à l'autre et d'en explorer les recoins. Les toilettes sont construites au-dessus de la mer. Tous se lavent avec l'eau de la rivière transportée dans des barils. Seulement quelques îles ont l'électricité, à partir de 19h seulement. C'est époustouflant et déstabilisant à la fois.

Nous avons posé nos bagages dans un joli hôtel avec vue sur la mer et sur la cour du voisin avant d'aller visiter l'île Ansuelo. Sable blanc, cocotiers fournis, eaux turquoise...

Le genre d'endroit qui paraît irréel tant tout est parfait.

Après de vaines recherches d'informations sur le cargo-qui-va-peut-être-passer-mais-il-faut-juste-être-patient, nous avons trouvé un autre moyen de gagner la frontière maritime panaméenne, Puerto Obaldia. En huit heures, nous avons franchi près de 300 km dans une barque munie d'un moteur, à recevoir de l'eau salée en plein visage et à entendre nos vélos se cogner l'un sur l'autre.

À plus d'une reprise, nos chauffeurs se sont arrêtés dans les îles, pour échanger des mangues contre des poules, par exemple.

Après une nuit inconfortable à chasser les fourmis et les moustiques dans le seul hôtel du village, puis une fouille complète par les douaniers, nous avons mis le cap vers Capurgana, charmant village colombien accessible par la mer seulement. De là, l'énième embarcation nous a permis d'atteindre Turbo, en Colombie, et de nous remettre en selle en Amérique du Sud, sur des routes qui se connectent entre elles. Enfin!

Vous avez une aventure à nous raconter ? voyage@lapresse.ca