Désertée par les touristes depuis la chute de Bébé Doc, Haïti n'est plus visitée maintenant que par les travailleurs des ONG, les militaires et les missionnaires. Est-ce possible d'être touriste en Haïti? Oui, mais oubliez le tout-inclus et les paramètres occidentaux de sécurité. Visiter Haïti, c'est se lancer dans le vide, sans filet. Une étrange découverte de la liberté, grisante et inquiétante à la fois.

Le voyageur un peu téméraire peut-il débarquer avec son sac à dos, sur un coup de tête, en Haïti?

Probablement. Mais sans préparation, il risque de trouver l'expérience assez pénible. D'abord, 90% de la population ne parle que le créole. Et si vous êtes blanc, le mot «argent» est écrit en lettres de feu sur votre front, peu importe votre budget.

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Pour tout dire, la meilleure façon de découvrir Haïti, c'est d'être introduit. L'esprit de clan ici est fort, et les Haïtiens ont créé les réseaux sociaux bien avant Facebook.

Si un ami haïtien vous amène à un cercle, à une rue, à un quartier, à un village, particulièrement hors de Port-au-Prince, où le téléphone arabe est fort développé, tout le monde saura avec qui vous êtes et ce que vous avez fait la veille. Sachez-le. C'est précisément cela, votre sécurité. Car en l'absence de surveillance policière, voilà ce qui crée la cohésion sociale dans ce chaos.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la société haïtienne n'est pas une société plus «dangereuse». Il y a comme partout de la criminalité, mais certainement proportionnellement moins que dans les quartiers les plus louches des pays industrialisés.

Bien sûr, le voyageur fortuné peut se terrer dans Pétionville, sorte de Westmount de Port-au-Prince et emprunter sa voiture pour le moindre déplacement. Il y découvrira le luxe, le confort, la bonne chère, étonnamment possibles au milieu de tant de misère. Mais il ne découvrira en rien la véritable Haïti. Car Haïti vit dans la rue.

Destination hipster?

Dans un monde où les endroits les plus reculés ont été découverts, explorés et exploités à fond - ce qui désolait l'anthropologue Claude Lévi-Strauss - Haïti demeure un cas à part, un joyau préservé. Pour les mauvaises raisons et bien malgré elle, bien sûr, mais c'est l'une des conséquences de son isolement historique et de la crainte qu'elle inspire, même aux voyageurs les plus aguerris. Mis à part les Haïtiens de la diaspora qui font régulièrement le va-et-vient et les travailleurs humanitaires de tout acabit, rares sont les touristes qui y débarquent simplement par curiosité. Cette espèce manque cruellement à Haïti, ce qui fausse les rapports entre étrangers et Haïtiens. Dire qu'il y a déjà eu un Club Med très populaire sous la dictature! Un «Blanc» - ce mot désigne avant tout un étranger, peu importe la couleur de sa peau - n'est jamais ici gratuitement et ne semble exister que pour apporter son aide.

Il est d'ailleurs étonnant pour le voyageur habitué aux grands centres urbains de constater à quel point Haïti n'est pas une société «multiculturelle». Il découvrira rapidement ce que signifie être une «minorité visible». Mais c'est une réalité qui pourrait changer. Des jeunes gens bien intentionnés ont pris d'assaut cette île et veulent la faire découvrir au monde. C'est tout naturel: la population d'Haïti est incroyablement jeune et appelle à elle la jeunesse avide de renouveau. Rien ne le démontre mieux que la folie festive dans la période du carnaval que nous avons vécu lors de notre passage, où nous avons croisé Régine Chassagne et Win Butler du groupe Arcade Fire...

L'île aux mystères

Haïti n'est pas une anomalie de l'histoire, elle EST l'Histoire. Des siècles de bruits et de fureur sans aucun répit. C'est Hispaniola où Colomb a débarqué, la terre du génocide des indigènes Taino et Arawak, remplacés par les Africains soumis à l'esclavage le plus impitoyable, jusqu'à la révolution qui a donné naissance à la première République noire du monde, traversée par mille convulsions jusqu'au tremblement de terre de 2010. L'atmosphère d'Haïti est imprégnée de cette destinée incroyable et tragique, qui semble flotter au-dessus de ses paysages époustouflants. Une vie ne suffirait pas à comprendre ses mystères, ses paradoxes et ses absurdités. Mais si le dieu Legba, celui qui ouvre les portes, est avec vous, peut-être aurez-vous le privilège d'être invité un jour dans ses coins les plus secrets...

On ne l'appelle pas l'île magique pour rien.

>>> Lisez le reportage de Chantal Guy sur les carnavals haïtiens.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Des membres d'un orchestre traversent les ruines de la cathédrale de Port-au-Prince.