Le Costa Rica a la cote chez les Québécois. Assez pour en convaincre plusieurs d'y refaire leur vie, d'y fonder leur famille ou d'y passer une retraite dorée. Virée dans un étonnant village perdu dans le sud du pays où l'on trouve des biscuits «feuille d'érable» à l'épicerie et où l'on mange des crêpes au vrai sirop d'érable pour le petit-déjeuner, à l'ombre des manguiers, des cocotiers et des palmiers, avant de faire saucette dans le Pacifique. Le meilleur des mondes? Ils sont plus d'un à le penser.

Un rendez-vous chez le coiffeur? Un déménagement? Une nouvelle carrière? La notion de changement n'est décidément pas la même pour tous. Mais à Ojochal, petit bled perdu dans le sud du Costa Rica, elle a quelque chose de plus intense. Ici, on a affaire à des habitués des chambardements extrêmes.

Prenez Robert Lévesque, qui a passé la première partie de sa vie comme journaliste dans une station de radio de Sherbrooke, et qui occupe maintenant la seconde à titre de chef cuisinier d'un restaurant situé à 7000 km de là. Pas n'importe lequel, en plus: l'Exotica a été élu parmi les cinq meilleures tables du Costa Rica par le Lonely Planet cette année. Sa femme Lucie, ex-enseignante, est devenue du coup pâtissière. Ceux qui ont goûté ses brownies l'appellent maintenant Sweet Lucie.

Il y a aussi Marcella Marciano, qui s'est installée ici avec son mari il y a 16 ans et y a ouvert l'excellent restaurant Citrus, entre la naissance de ses deux enfants. Puis Lise et Alain Bélanger, de La Sarre, en Abitibi, qui ont pris ici leur retraite à... 48 ans! Robert Fleury et Marie-Danielle Croteau qui, partis faire le tour du monde en voilier, ont fait ici une escale qui dure depuis près de 20 ans. Ils gagnent maintenant leur vie en vendant aux restaurants et hôtels chic du Costa Rica des toits de plastique imitant ceux de palmier, fabriqués par l'entreprise Palmex à Saint-Sauveur! Et la liste pourrait se poursuivre longtemps. Au total, une centaine de Québécois vivent ici en permanence, sur une population d'environ 800 à 1000 habitants, selon le dernier recensement. Et ça, c'est sans compter tous ceux qui viennent y passer plusieurs mois

par année.

«On est un petit village d'irréductibles Québécois en plein coeur du Costa Rica», aime dire Alain Bélanger, qui, avec Robert Lévesque, est parmi les premiers à avoir acquis un terrain ici à la fin des années 80, sur les conseils de promoteurs québécois qui souhaitaient d'abord y faire fructifier des plantations de cajous. En vain... Les récoltes n'ont pas été bonnes, mais le paysage étant ce qu'il est - magnifique - la villégiature a tout naturellement pris le dessus.

À l'époque, tout était à faire ou presque. René et Lucie Lévesque ont attendu 14 ans le téléphone, leurs enfants allaient à l'école sur des routes de terre qui méritaient à peine le nom de sentiers. «J'ai fait un voyage en accéléré dans le temps en vivant ici, tout s'est développé si vite!», constate aujourd'hui Robert.

Le village compte maintenant plusieurs hôtels ou studios à louer, comme chez Robert et Marie-Danielle, qui offrent en prime l'accès à leur atelier de vélo et guident les cyclistes dans les routes des environs. Ou Alain Bélanger et sa femme qui, dans les hauteurs d'Ojochal balayées par une agréable brise, accueillent presque uniquement des touristes de la Belle Province. «Ça me restreignait au départ qu'il y ait tant de Québécois... Mais finalement, ça a des côtés rassurants», dit Sylvain Sgroi, qui songe de plus en plus à s'installer définitivement ici.

Et puis il faut dire que c'est d'abord et avant tout la beauté de la nature environnante et le calme de ce village pittoresque, pas tout à fait encore entré dans la modernité, qui attirent les visiteurs. Car si on entend «placoter» au restaurant, Ojochal est situé assez loin de la capitale et des sentiers battus pour s'épargner les hordes de touristes déferlant sur d'autres régions. La donne pourrait toutefois changer avec la réfection de la route 34 qui permet désormais de rallier San José en trois heures environ, comparativement aux cinq heures, cinq heures et demie de route souvent cahoteuse d'il y a cinq ans.

Le village est plus authentique que les stations balnéaires exclusivement touristiques situées plus au nord. Les enfants jouent au soccer sur le «campo» aride après les heures de classe, sous le regard indifférent des amoureux assis sur les bancs publics. L'épicier espère qu'ils n'oublieront pas de venir s'acheter une boisson gazeuse bien fraîche avant de rentrer chez eux. Une vraie vie de village.

«C'est si beau! Il y a tout à faire! De la randonnée, de l'équitation, la plage est à 20 minutes, la nature est toujours belle, il fait toujours beau. On est tellement bien», martèle l'ex-Sherbrookoise Renée Beaupré au Diquis del Sur, l'hôtel qu'elle a acheté avec son mari, Pierre, au beau milieu d'une promenade dans les plants de vanille, de clou de girofle, de poivre, de cajou, les manguiers et les plants d'ananas de son jardin. Demain matin, elle servira à ses clients un jus de guanabana (corossol), cueilli sur place, avec des crêpes au sirop d'érable ou le très bon pain de cet archéologue français reconverti en boulanger...

Repartir? «On n'y a jamais pensé», dit Robert Lévesque, sur un air très, très connu dans le coin.