Buenos Aires, c'est à la fois le charme des cafés de Paris, la splendeur despalacios baroques de Séville, l'omniprésence des pizzerias (et le chaos!) de Naples. C'est la plus européenne des villes d'Amérique latine. C'est une métropole grouillante, hétéroclite, bouillante, cosmopolite, un assemblage de quartiers si différents les uns des autres qu'ils forment chacun une ville dans la ville. En voici trois à explorer, dans l'ordre ou le désordre.

La Recoleta

«Dieu ne nous a rendus égaux que par la mort.» Il semble que, au cimetière de La Recoleta, on ait tenté à tout prix (surtout à fort prix, en fait) de faire mentir ce proverbe arabe.

Dans ce quartier cossu aux rues ombragées et calmes, les riches et célèbres ont pris soin de se ménager une dernière demeure digne de celle où ils avaient brillé de leur vivant. Orgueilleux agencement néo-classique de monuments conçus par les artistes les plus renommés de leur temps, c'est un lieu d'Histoire... et d'histoires : amours contrariés, amitiés indestructibles ou haines qui perdurent au-delà de la mort, chaque mausolée a quelque chose à raconter.

Ainsi, il y a cet homme qui, après avoir vécu 30 ans avec sa femme sans lui adresser la parole, a fait immortaliser dans le marbre sa mésentente conjugale: représenté un peu plus grand que nature, aristocratiquement assis dans un fauteuil, le regard perdu au loin, il tourne carrément le dos à sa femme, laquelle n'est représentée que par un modeste buste.

Les guides (pas obligatoires mais indispensables si l'on veut vraiment profiter de la visite) racontent aussi l'histoire, réelle ou romancée, de Rufina, fille unique de l'écrivain et homme politique Eugenio Cambaceres, que l'on a crue morte alors qu'elle était en catalepsie (un classique), et qui se serait réveillée dans son tombeau, où elle serait finalement morte pour vrai après avoir en vain tenté de sortir de sa fâcheuse position. Son mausolée, chef-d'oeuvre d'Art nouveau d'une poignante beauté, la représente mélancoliquement appuyée contre la porte de son propre tombeau.

La visite ne serait pas complète sans un arrêt devant le caveau de la famille Duarte, où repose la dépouille d'Eva Duarte Perón, actrice, femme politique et épouse du président Juan Perón, morte en 1952 d'un cancer foudroyant, à l'âge de 33 ans. Les Argentins lui vouent un culte qui ne se dément pas, et il se trouve toujours de nombreuses personnes pour se recueillir devant sa tombe.

L'heure de la Merienda 

D'une allée à l'autre, on passe volontiers l'après-midi dans ce lieu insolite et hors du temps, jusqu'à ce que le son impérieux d'une cloche, agitée à 17h45 pile par un préposé probablement sourd, annonce aux visiteurs qu'ils ont 15 minutes pour quitter les lieux.

Cela tombe bien (sans jeu de mots!): c'est l'heure de la merienda, ce goûter de fin d'après-midi qui permet aux Argentins de ne souper que vers 21h30, à l'heure où la plupart des touristes songent à gagner leur lit. Au pub Buller, juste en face, la terrasse se remplit. C'est là qu'on trouve, paraît-il, la meilleure bière de Buenos Aires.

Un peu plus loin, rue Junin, le resto La Querencia se spécialise dans la cuisine du nord de l'Argentine, chose rare à Buenos Aires, où les parrillas (grils) et les pizzerias se disputent partout la clientèle. Les empanadas y sont divines, en tout cas.

http://www.cementeriorecoleta.com.ar/

http://www.bullerpub.com/

http://www.laquerenciaonline.com/

San Telmo

San Telmo est l'un des barrios les plus anciens de Buenos Aires. C'est probablement aussi l'un des plus charmants. S'il y a un quartier où il fait bon flâner, c'est ici, dans ces vieilles rues empierrées bordées de superbes immeubles baroques où l'on se pince pour se rappeler qu'on n'est pas en Espagne.

Partout des boutiques d'antiquaires comme des cavernes d'Ali Baba, des cafés qui n'ont pas changé depuis 150 ans, des échoppes originales, rigolotes ou un peu chic, des murales complètement délirantes. Le dimanche, le quartier se transforme en immense marché aux puces, la Feria de San Telmo, où les amateurs de brocante ou d'artisanat peuvent chiner jusqu'à la mort.

Si l'on n'aime ni le bruit ni les foules (ou si l'on veut vivre vieux), on ira plutôt en semaine arpenter la calle Defensa, dire bonjour à Mafalda et à ses amis au coin de la rue Chile, faire un crochet par le passage San Lorenzo pour jeter un coup d'oeil à la Casa Minima (large de 2,2 m, c'est la plus étroite de Buenos Aires), ou encore admirer l'architecture du vieux marché de San Telmo, avec ses hauts plafonds tout en dentelle de verre et d'acier. 

Aux numéros 1179 et 1056 de la rue Defensa, la Galería de la Defensa et la Galería El Solar de French, deux anciennes maisons bourgeoises avec cour intérieure, patios et galerie, semblent tout droit sorties d'un quartier de Séville ou de Grenade - voire de Marrakech. Elles abritent maintenant diverses boutiques d'artisanat et d'antiquités, des cafés et des marchands de vins ou de produits fins, mais on imagine sans peine quelle vie y ont menée les dizaines de familles pauvres qui s'y étaient entassées après que les bourgeois eurent délaissé les lieux pour fuir la fièvre jaune.



Antiquités


Parmi les innombrables antiquaires qui ont pignon sur rue dans ce quartier, le plus épatant est sans doute Gíl Antiguedades, rue Umberto Primo. Déjà en entrant, on a un petit vertige à la vue de tous ces objets magnifiques présentés avec tant de goût. Mais Mme Gíl, la propriétaire, est aussi passionnée de vêtements, de tissus, de dentelles. Au sous-sol, elle garde une quantité ahurissante de robes, de chapeaux, de manteaux, de chemises, de bonnets de nuit, de l'ère victorienne aux années folles, minutieusement classés, rangés et arrangés par couleur, époque ou genre. Un peu plus loin, rue Estados Unidos, elle a une autre boutique, exclusivement de robes de mariée anciennes, faites main par définition, de tissus nobles par tradition. Une splendeur.

Umberto Primo

412 et Estados Unidos 361

http://www.gilantiguedades.com.ar/



Tango! 


À la fin du jour, épuisé par ces déambulations, pourquoi ne pas prendre un peu de repos (et, puisqu'on y est, l'apéro) sur la place Dorrego? Non seulement on y trouve l'un des 73 bars déclarés «notables» par le ministère de la Culture de la province de Buenos Aires (le bar Plaza Dorrego), mais il n'est pas rare, à cette heure, qu'un jeune couple donne sur la place une démonstration de tango, juste comme ça.



Cafés notables 


Pour leur caractère, leur histoire, leur charme, leur respect des traditions, la Ville de Buenos Aires les a désignés Bares notables. Il y en a 73, disséminés un peu partout dans la ville. S'y arrêter pour un café, une bière fraîche, un chocolat, donne toujours l'impression de plonger dans un film. En voici deux.



Café La Poesía


C'est un café littéraire où l'on croiserait Rimbaud sans s'étonner. Ses hauts plafonds de brique rouge et ses boiseries patinées lui donnent un cachet fou. Contre le long mur de façade trône un vieux piano auquel s'assoira éventuellement un musicien. Une chanteuse aux airs de gitane et à la voix admirable entrera, chantera trois ou quatre airs de tango déchirants, passera le chapeau et s'effacera discrètement dans la nuit, comme dans un film.

Coin Chile et Bolívar



Bar El Federal 


Frère presque jumeau du précédent, il a la même «gueule d'atmosphère» et la même carte interminable, comme c'est la coutume: sandwichs, grillades, omelettes, pizzas, salades, ça tire dans tous les sens. Dans ce fouillis, les pâtes maison sont un bon choix. 

Coin Perú et Carlos Calvo



Autre bonne adresse 




Alice's Tea House


Pour un jus frais, un thé, un sandwich, c'est un endroit charmant qui semble directement inspiré d'Alice au pays des merveilles. Jolie terrasse intérieure.

Carlos Calvo 372

Almagro

Voici un «vrai» quartier, un barrio où vivent les Porteños et que peu de touristes fréquentent. C'est l'un des plus densément peuplés de Buenos Aires, et il grouille de vie de nuit comme de jour. Des marchands ambulants (serviettes, chaussettes, lunettes, cacahuètes, alouette!) squattent les trottoirs de l'avenida Corrientes, bordée de magasins incroyablement longs et étroits et de plusieurs théâtres en tous genres. 

Toujours avenue Corrientes, le «shopping» Abasto, une galerie commerciale aménagée dans un ancien (et immense) marché, vaut le coup d'oeil ne serait-ce que pour son architecture Art déco. 

À noter: le McDonald's qui s'y trouve est le seul kascher hors d'Israël. C'est que la communauté juive de Buenos Aires est l'une des plus importantes au monde (la troisième après Paris et Londres), si l'on exclut celles d'Israël et des États-Unis. Elle est établie en majeure partie dans un quartier voisin d'Almagro, le long de l'avenue Corrientes, justement, et de la rue Lavalle, où les commerces de textiles abondent comme autrefois boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Il y règne la même animation et le même désordre sympathique. 

On trouve aussi dans les environs la maison où Carlos Gardel a vécu avec sa maman, un modeste mais émouvant musée-hommage à celui qui fut le tanguero le plus important du début du XXe siècle. 

Parlant de tango, Almagro abrite un club tout ce qu'il y a d'authentique, fort différent des usines où l'on enfile des fournées de touristes dans des soupers-spectacles toujours très chers et pas toujours très bons. Le Club Almagro est une coopérative formée de musiciens qui veulent justement ramener la culture tanguera à son essence, la diffuser et la faire connaître. Musique «vivante» tous les week-ends à 21 h 30, parfois jusqu'au matin.

Un soir de match de foot (une passion des Argentins, voire une religion), prendre un pot au café-bar El Banderín, un autre des «cafés notables» de la ville, vous plongera dans un Buenos Aires d'un autre temps. Vermouth et picadas pour les fins de soirée, atmosphère garantie à toute heure.

Maison de Carlos Gardel, Jean Jaurès 735

Club Almagro, Medrano 688

El Banderín, Guardia Vieja 3601

Buenos Aires pratique

TRANSPORTS 

Une pléthore de bus parcourt la ville en tous sens, mais ils appartiennent à plusieurs entreprises privées qui fonctionnent indépendamment les unes des autres. Bien difficile de savoir exactement lequel prendre pour se rendre du point A au point B, mais les Porteños vous renseigneront volontiers.

Des cartes à puce vendues dans les stations de métro permettent de monter dans n'importe quel bus et, bien sûr, de prendre le métro. Ce dernier, qu'on appelle subte (pour subterráneo, souterrain), à peu près de la taille de celui de Montréal (pour 11 millions d'habitants!), est toujours bondé mais efficace. Avec un minimum de précautions élémentaires, il est aussi sûr que n'importe quel autre, même pour une femme seule.

Le taxi reste une solution simple, abordable et sans souci. Reconnaissables à leurs couleurs noir et jaune, les voitures officielles fourmillent dans les rues, on n'a qu'à les héler. À noter que les chauffeurs ne parlent souvent qu'espagnol.

ARGENT

L'inflation et la dévaluation de la monnaie locale mettent à dure épreuve l'économie argentine - et les nerfs des Argentins. Au taux de change officiel, un peso vaut maintenant environ 0,14 $CAN (ou 1 $ = 6,95 pesos). Mais il n'y a bien que les banques et les compagnies de cartes de crédit qui le pratiquent. Au centre-ville, rue Florida et rue Lavalle, on peut changer des dollars américains pour presque le double du taux officiel, ce qu'on appelle le dólar blue. C'est facile, mais illégal.

Si on préfère rester dans les limites de la légalité et éviter le risque (bien réel) de se faire fourguer de faux billets par les changeurs de rue, il suffit souvent de demander au personnel de l'hôtel: il se trouve toujours quelqu'un désireux de mettre ses économies à l'abri des fluctuations du peso. À 10 pesos le dollar, on aura un meilleur taux que dans les banques et les bureaux de change tout en permettant à cette personne d'obtenir des dollars américains à bon prix.

À noter que la plupart des petits établissements n'acceptent que le paiement in efectivo (comptant) et qu'un retrait au guichet automatique, au taux officiel bien sûr, coûte chaque fois 51 pesos (environ 6$). Mieux vaut donc emporter un maximum de dollars américains, qu'on changera au fur et à mesure (et qu'on rangera avec prudence, évidemment).

LANGUE

L'espagnol parlé en Argentine, le rioplatense, est teinté de fortes intonations italiennes (40 % de la population argentine est de souche italienne), bourré d'expressions de lunfardo (argot de Buenos Aires) et coloré d'un accent très particulier. Notamment, la double consonne «ll», qui se prononce «y» en castillan, se prononce «sh» en rioplatense. Des mots comme yerba ou llamar se prononcent «sherva» ou «shamar», ce qui peut être quelque peu déstabilisant. Il faut tendre l'oreille... et faire répéter despacio!

BON À SAVOIR

Les Canadiens n'ont pas besoin de visa pour entrer en Argentine, mais ils doivent s'acquitter d'une «taxe de réciprocité» de 92 $US, à payer en ligne sur le site du gouvernement argentin. Le voyageur doit impérativement présenter le reçu imprimé (un reçu électronique sur téléphone ou tablette n'est pas acceptable) au moment de son enregistrement à l'aéroport et, à son arrivée, aux autorités de l'immigration, faute de quoi il peut se voir refuser l'embarquement ou l'entrée en territoire argentin.