Un jeune militant assassiné vous regarde, un slogan vous fait rire, une scène colorée vous transporte: Buenos Aires, devenue une ville-culte de l'art de la rue s'exprime d'abord à travers ses murs.

«Buenos Aires est devenue une ville-culte de l'art de la ruecomme Sao Paulo ou Mexico», dit à l'AFP Fernando Aita, l'un des jeunes éditeurs du Projet 'GRaFiTi, www.escritosenlacalle.com'.

Ce site web, qui invite à «regarder la ville autrement», vient de réunir 1 000 photographies de graffitis : des véritables archives visuelles et linguistiques pour le pays, réunies depuis 2009.

«Les plantes ne piquent pas», «Un présent pour notre avenir», «La lutte continue», sont quelques-unes des phrases qui surprennent les passants, tandis que se multiplient les fresques colorées.

«Il est difficile de parler des graffitis comme d'un patrimoine de la ville, car ils sont éphémères, mais il est vrai que le «street-art» fait partie de Buenos Aires», dit Luis Grossman, directeur du Centre Historique de la capitale. Il soutient les graffitis, convaincu qu'ils «embellissent la ville».

Mais ils la dégradent aussi. Le bâtiment colonial du Cabildo, où le 25 mai 1810 le peuple a décidé de faire sa Révolution, est en permanence tagué. Les autorités dépensent des sommes énormes pour le repeindre, en vain.

La société Graffiti Mundo a découvert le filon touristique : elle organise trois fois par semaine des tours guidés à la recherche des meilleures fresques.

Même les tragédies se disent sur les murs : «Jamais plus de Cromagnon» ont peint récemment des parents des victimes de l'incendie de cette discothèque, qui a coûté la vie à 194 personnes le 30 décembre 2004.

«Attention : ils sont armés et en liberté», dit un graffiti représentant... un policier.

C'est toute l'évolution de la société argentine au cours des dix dernières années qui peut se lire sur les murs de la capitale. «En 2002, en pleine crise, les graffitis étaient davantage politisés», dit Lelia Gandara, sémiologue à l'Université de Buenos Aires. «Les gens exprimaient leur rage».

«Nous avons vu, ensuite, l'arrivée de fresques plus colorées et ces derniers temps c'est le genre hip-hop, les tags, qui prolifère», explique Fernando Aita.

Mais la politique a repris ses droits après la mort, en octobre, de l'ancien président (2003-2007) Nestor Kirchner.

Il est alors apparu sur les murs représenté en «Nestornauta», en allusion à «l'Eternaute», la célèbre BD du scénariste Hector Oesterheld, enlevé et tué sous la dictature (1976-1983) avec ses trois filles.

Un étudiant assassiné en 2010 par des syndicalistes, Mariano Ferreyra, est devenu lui aussi un véritable phénomène, visible partout. Tout comme le premier disparu en démocratie, Julio Lopez, enlevé en 2006 après avoir témoigné contre des policiers pour des crimes commis sous la dictature.

Rue Defensa, l'une des plus anciennes de San Telmo, quartier des antiquaires, une vache peinte se demande tous les trente mètres : «Qui donc pense à nous?». Des scènes de tango succèdent plus loin aux vaches et aux tags.

«Les rues étaient autrefois lugubres : le fait de peindre sur les murs a apporté un peu de gaieté», dit à l'AFP Jaz, un scénariste de 29 ans passionné de fresques depuis l'adolescence. «C'est ma manière à moi de m'approprier ma ville», dit-il.

Jaz admet que «la peinture de rue est illégale, mais le gouvernement et la police laissent faire, car ils ont des problèmes plus importants à résoudre». Parfois, les propriétaires des maisons cèdent eux-mêmes à la mode de commander une fresque, plus ou moins chère, pour décorer leurs murs.

«Quel beau mur pour peindre !», s'est exclamé un inconnu sur un mur de Buenos Aires qui venait d'être blanchi à la chaux.