Le cliché est incontournable. Il suffit de lancer: «Je pars à Cuba» pour entendre répliquer: «Te reposer dans un tout-inclus?» Eh bien, non! Le crocodile des Antilles n'est pas que plages et hôtels de luxe bondés et il peut encore surprendre les voyageurs en quête de dépaysement. À commencer par des kilomètres de routes magnifiques à parcourir à vélo. Reportage dans le ventre de l'île à la découverte d'un Cuba méconnu.

Le secret de Pinar del Rio tient en un mot: agriculture. Contrairement au reste du pays, la principale source de revenus de la région n'est pas le tourisme, mais le travail de la terre. D'abord pour faire pousser le tabac - le plus fin du monde, répètent sans cesse les Cubains -, puis la canne à sucre et d'autres fruits et légumes. Oubliez donc les hôtels aussi chics qu'impersonnels destinés à attirer des hordes d'Occidentaux qui ont toutes les chances de finir leur séjour en bord de mer la peau cramoisie. Ici, ce ne sont pas les plages de sable fin qui attirent l'étranger, mais une nature aussi généreuse que sa population est attachante. Sans exagérer: la beauté des paysages, la richesse culturelle et la préservation des techniques agricoles ont valu à la vallée de Vinales d'être inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. 

 

Photo: Violaine Ballivy

Les routes de Cuba sont souvent dans un meilleur état qu'on pourrait s'y attendre.

D'abord, la précision qui s'impose. Même si la région est dominée par la cordillère Guaguanico, nul besoin d'être un abonné des clubs cyclistes pour se lancer à son assaut sur deux roues. Vallonnées, certes, les routes ont la bonne idée de contourner sans les attaquer de front les sommets qui ne dépassent jamais plus de 400 m d'altitude et sont donc à la portée de tous les sportifs capables de faire le Tour de l'île de Montréal. Les routes sont d'ailleurs dans un meilleur état qu'on pourrait s'y attendre et c'est tant mieux, parce qu'on a du mal à garder les yeux au sol. La variété des paysages est saisissante. On croirait changer plusieurs fois de pays en parcourant moins de kilomètres qu'il n'en faut pour se rendre de Laval à Chambly.Près de Pinar del Rio, chef-lieu de la région, la Sierra de los Organos offre des formations calcaires en forme de mamelon (appelées «mogotes») recouvertes d'une épaisse végétation tropicale qui rappellent les panoramas du Vietnam ou du Cambodge. Le lendemain, c'est plutôt au Brésil que l'on aura l'impression d'avoir atterri. Les palmiers royaux ont cédé leur place à de grands pins d'un vert sombre. La terre est d'un orange vif. Et surtout, partout, les maisons des paysans sont fièrement entretenues, peintes de couleurs vives: rouge, rose et bleu. Surtout du bleu, à vrai dire, qui contraste si bien avec les énormes bougainvillées magenta. 

Photo: Violaine Ballivy

La région se parcourt aisément dans un circuit d'une semaine sillonnant les chaînes de los Organos et del Rosario pour rejoindre les villages de Viñales, Las Terrazas et Soroa, le tout en pédalant une cinquantaine de kilomètres chaque jour (en groupe organisé; prévoir des distances beaucoup plus longues pour les voyages en solo sans transferts en autocar).L'avantage de voyager à vélo, plutôt qu'en voiture, c'est de pouvoir s'arrêter dans l'une des innombrables fermes plantées le long de la route pour déguster un ananas fraîchement cueilli et préparé devant soi de quelques habiles coups de machette. Surprise, la chair est blanche. Señor, vous êtes sûr qu'il est prêt? «Faites-moi confiance, la production de fruits de Pinar n'est pas la plus importante, mais la meilleure de Cuba», promet-il. On goûte, sceptique. Puis on en reprend illico deux autres. Avec de ces bananes dites Manzanillas au délicat goût de pomme. Et une noix de coco si fraîche que sa chair a encore la consistance du lychee.

Plus loin, c'est pour observer la récolte des racines de yucca qu'il faudra mettre le pied à terre, ou encore pour demander à ce vieillard tout rabougri ce qu'il peut bien faire sur cette route perdue au milieu de nulle part. «Je marche.» Pour aller où? «Ce n'est pas la question! J'ai 86 ans, alors je marche deux heures par jour pour me garder en forme... Mais vous, que faites-vous ici à vélo? Vous êtes perdue? Vous savez qu'il existe des autocars ici?» L'homme en a pourtant visiblement vu d'autres. C'est dire comme le touriste n'est pas une espèce en surabondance ici.

L'idéal consiste à condenser la portion vélo le matin, de manière à éviter le soleil de plomb de l'après-midi et de se garder le temps de faire quelques visites. Parmi les incontournables, on retiendra la visite de Vinales, l'une des plus anciennes villes fondées à Cuba, à la fin du XVIIe siècle, histoire d'y admirer l'église patrimoniale qui surplombe la place centrale et de prendre un bain de foule entre les fermiers de passage et les écoliers en tuniques rouges et blanches qui affluent à la sortie des classes. 

Photo: Violaine Ballivy

Les paysans cubains entretiennent fièrement leurs maisonnettes, toujours abondamment fleuries.

Pour un bon repas - un coup de coeur du voyage -, il suffit de faire un détour par Las Terrazas, un projet de développement durable lancé par Fidel Castro dans un secteur classé «Réserve mondiale de la biosphère» par l'UNESCO depuis 1985. L'un des rares restaurants végétariens du pays y offre des plats préparés exclusivement avec les produits cultivés sur place. La réserve offre également la visite des ruines d'une ancienne culture de café du XIXe siècle et l'exploration, à pied, de la Sierra de los Organos.Antilles obligent, un après-midi devra être consacré à la plage. Celle de Cayo Jutias n'a rien de spectaculaire à première vue, mais sa tranquillité - et ses énormes coquillages sortis tout droit d'un manuel de biologie - en font un arrêt de premier choix.

Mais cela, bien sûr, c'est s'il vous reste du temps. Les Cubains affirment qu'il n'existe que deux raisons de faire du vélo, par nécessité ou... par nécessité. Le touriste, lui, n'en verra qu'une seule. Pour le plaisir. Sitôt le pied à terre, il ne songera qu'à remonter sur sa monture.

Les frais de ce voyage ont été payés par Rêvatours.

Photo: Violaine Ballivy

Un havre de tranquillité: la plage de Cayo Jutias.

Comment partir?

Le plus simplement possible? En voyage organisé. Rêvatours offre depuis décembre dernier un circuit de cinq jours à vélo, plus deux jours à La Havane, à 1779$, comprenant la location de la bicyclette, les repas et l'hébergement (en occupation double, souvent des hôtels-bungalows simples mais confortables). Un guide francophone assure le soutien touristique et technique, sachant aussi bien changer une crevaison que disserter sur la production du tabac ou l'influence de Che Guevara dans la région. De plus, un autocar suit en permanence les cyclistes pour permettre, en cas de fatigue ou de blessure, la poursuite du circuit à bord. Les groupes sont limités à 10 participants.

Partir en solo requiert beaucoup plus de préparation et seuls les habitués du cyclotourisme devraient s'y frotter. Dans ce cas, un guide s'impose (en anglais seulement): Bicycling Cuba: 50 Days of Detailed Rides from Havana to Pinar del Rio and the Oriente, aux éditions Back Country, écrit par un couple de retraités mordus de vélo.

Une autre option, souvent plus économique que la première, consiste à acheter une formule classique tout-inclus en bord de mer et de rayonner à vélo dans les environs. Avec un gros bémol: on reste confiné à la même région, souvent plus touristique qu'authentique.

Quand partir?

Idéalement entre novembre et avril, pendant la saison sèche et plus tempérée. L'été, les averses sont presque quotidiennes, le mercure et l'humidité bondissent et avec eux le degré de difficulté du pédalage!

Photo: Violaine Ballivy

La charmante église de la place centrale de Vinales.

Vélos

Même si certaines routes sont dans un meilleur état que celles du Québec, Cuba n'est pas l'endroit pour les vélos de route de pointe, trop fragiles. Mieux vaut privilégier un modèle assez robuste - de type hybride ou cyclotourisme - monté sur des pneus d'au moins 32mm. Air Transat et Cubana permettent d'emporter son vélo pour 60$ aller-retour. Air Canada facture 100$ pour un maximum de 23 kg.

Équipement

Un indispensable: le casque de vélo, presque impossible à trouver dans l'île. Accessoirement, si vous louez votre monture: une selle confortable, un support à bouteille d'eau, un porte-bagages, voire des pédales et souliers à clips. Pour les aventuriers solitaires: un cadenas et une trousse de réparation complète. Avec l'embargo, acheter la moindre pièce relève de l'exploit, même à La Havane.

Ne partez pas sans...

Un cuissard bien rembourré! Un bon imperméable et des vêtements chauds pour les nuits fraîches de l'hiver (autour de 15ºC). Un maillot de bain, des chaussures de randonnée, de la crème solaire, de la lotion antimoustiques et une trousse de premiers soins contenant un antidiarrhéique et des analgésiques pour les muscles endoloris.

Gastronomie...

La variété n'est pas la première qualité de la nourriture cubaine... Beaucoup, beaucoup, beaucoup de poulet et de porc au menu, servis avec pommes de terre, plantains et riz, mais peu de fruits et de légumes frais l'hiver. Trimballez des noix, des fruits séchés et du chocolat achetés au Québec ou à La Havane, souvent très difficiles à trouver à la campagne.

Photo: Violaine Ballivy