Un petit campement sans mur sous un toit de tôle trouée. Au sol, de larges planches de bois. Ici, pas de toilettes, encore moins de douche. Même s'il y a ni radio ni télévision, l'endroit est loin d'être silencieux. Le dialogue des animaux est un bruit de fond à la fois agréable et troublant. C'est en ces lieux que je passe ma première nuit au coeur de la forêt amazonienne.

«Ne t'en fais pas, prévient mon guide Domingo Andy. Les indigènes ne se perdent jamais dans la selva.» Me voilà quelque peu rassurée. Après tout, Domingo et son épouse, Ines Chongo, organisent des expéditions en Amazonie depuis plusieurs années. Je me demande toutefois secrètement si mon hôte saurait avoir le dessus contre une panthère, un tigre ou tout autre animal prêt à se servir de nous comme repas...

 

Après avoir avalé un déjeuner composé d'oeufs, de crêpes et d'une eau à la cannelle, celui que je surnomme señor Domingo et moi sommes prêts pour notre grand départ vers la forêt amazonienne, chaussés d'énormes bottes de caoutchouc noires - mes meilleures amies au cours de cette excursion - et enduits de lotion contre les moustiques de la tête aux pieds.

Après un trajet d'une vingtaine de minutes à bord de la camionnette, nous débarquons au bord d'une petite route, où nous ferons notre entrée dans l'Amazonie. Histoire de m'aider à marcher à travers des sentiers qui n'existent pas vraiment, Domingo coupe une branche pour me fabriquer un bâton de pèlerin. À la vue de son arme blanche, j'ai un frisson: pourrait-il s'en servir contre un animal qui voudrait nous attaquer? Il faut vraiment que je chasse ces craintes de mon esprit.

Domingo porte un immense sac à dos contenant les sacs de couchage, l'eau et la nourriture. Je trottine derrière lui avec ma caméra comme unique bagage. La randonnée dans cette épaisse forêt humide, d'où on aperçoit à peine le soleil, dépasse toutes mes attentes. Le thermomètre doit certainement osciller autour de 30 degrés. Les arbres, les animaux, le paysage: l'Amazonie est un véritable chef-d'oeuvre de la nature. Je profite pleinement du moment tout en pestant contre les multiples moustiques qui me tournent autour. Cela fait sourire Domingo qui me surnomme affectueusement... la princesse de la forêt.

Sur la route, il m'apprend à reconnaître les plantes médicinales, et me montre un type d'arbre dont les petites branches servent à fabriquer des balais. Le chant des toucans et des grenouilles nous accompagne. J'ai même la chance d'apercevoir de petits singes qui s'amusent à sauter d'un arbre à l'autre.

Domingo, âgé de 55 ans, connaît cette forêt par coeur. Il ratisse cette zone depuis l'âge de 22 ans et y a même vécu pendant cinq ans avec son épouse et ses quatre premiers enfants. Une période de sa vie, dont il parle avec des étoiles dans les yeux.

«Est-ce que tu as envie de jouer à Tarzan?» me demande tout à coup Domingo en prenant une liane dans ses mains. Il n'a pas eu besoin d'insister. Me voilà suspendue à cette liane en train de me balancer. Expérience fort amusante.

Après trois heures de marche, nous arrivons enfin à notre gîte. Épuisés, affamés, nous avalons avec plaisir un sandwich au jambon. Environ 30 minutes de pause suffisent pour que mon compagnon refasse le plein d'énergie. «Continuons notre exploration», déclare-t-il sans me laisser d'autre choix. Nous marchons pendant encore quatre heures. Le temps passe à une vitesse fulgurante, tellement je suis captivée par ce que je découvre. En fin de journée, nous allons nous rafraîchir dans un petit ruisseau à proximité du campement. Ce n'est pas un luxe puisque j'ai atteint un niveau de saleté extrême.

Nous préparons ensuite le repas. Soupe aux légumes, pâtes et poulet sont préparés dans d'immenses casseroles noires, suspendues au-dessus du feu à l'aide d'un petit tronc d'arbre. J'ignore si c'est en raison de la fatigue, de la faim qui me tenaille ou encore de l'exotisme des lieux, mais j'ai l'impression de n'avoir jamais rien mangé d'aussi bon. La nuit s'installe tranquillement et l'heure d'aller dormir approche.

Nous déroulons nos sacs de couchage sur de minces matelas. Au-dessus de nos têtes, un filet nous protège des moustiques. Mince protection contre les panthères, me dis-je une fois de plus en regardant le ciel étoilé.

Contre toute attente, je dors comme un bébé jusqu'à 7h. Je craignais que mes muscles ne soient endoloris en raison de la longue randonnée de la veille et du peu de confort de ma couchette mais étonnament, je me sens bien.

Le pire reste toutefois à venir. Pour retrouver notre camionnette, nous empruntons un sentier différent. Plus escarpé que celui par lequel nous sommes entrés dans la forêt, le parcours, où la boue est omniprésente, nécessite quatre heures. Mes bottes sont trempées car nous avons franchi un ruisseau.

En apercevant notre véhicule, je rêve déjà à la douche et au repas qui m'attendent dans la communauté. Mais il faut marcher encore pendant une trentaine de minutes, avant d'atteindre le Rio Napo où nous montons à bord d'une pirogue, sorte de canot à moteur muni d'un toit. Et encore 10 minutes de marche avant d'arriver à destination.

L'épouse de Domingo nous accueille avec un large sourire. La pluie commence tout de suite après notre arrivée. Mon bonheur est palpable. Je suis fière d'avoir vécu cette expérience unique, mais épuisée. La princesse de la forêt est à bout de souffle...