De tous les pays d'Afrique, le Kenya est celui qui offre, avec la Tanzanie, les plus beaux safaris. Récit d'un séjour digne d'un film, entre nature sauvage et luxe délicieusement surranné.

La grande table, couverte de nappes blanches et d'argenterie, attendait randonneurs et cavaliers sous un immense acacia, en plein coeur de la savane. Deux cuisiniers en livrée blanche s'activaient autour du feu pour préparer le petit-déjeuner: des oeufs brouillés au saumon fumé. Un pichet en étain, plein d'eau froide, pour nous rafraîchir. Ne manquait que le gramophone (et Robert Redford en habits de safari) pour nous plonger plus avant dans une scène du film Out of Africa.

C'est le Kenya d'une époque révolue qui nous est apparu en ce matin doré au pied des Chyulu Hills, dans le sud du pays. Le Kenya d'il y a 100 ans, alors que Teddy Roosevelt ou Ernest Hemingway partaient à l'aube chasser le lion ou l'éléphant, avant de rentrer au camp pour boire le thé dans de la véritable porcelaine de Chine.

Aujourd'hui, Dieu merci, la chasse est interdite au Kenya et les seuls trophées qu'on puisse rapporter sont photographiques. Mais l'ambiance surannée de l'époque coloniale est savamment cultivée. À l'écolodge Ol Donyo, où nous avons posé nos valises, on sert encore le sherry et les sablés le soir, alors que le soleil se couche derrière le Kilimandjaro voisin...

Entre nature et culture

Ce matin-là, avant le déjeuner en plein air, nous avons parcouru à pied quelques kilomètres dans la savane en compagnie de Konee, un guerrier masaï qui nous sert de guide, et d'un ranger armé. Une dizaine de girafes et girafeaux nous ont regardé passer en battant de leurs longs cils. Nous avons dépassé, sur la pointe des pieds, un gigantesque éléphant mâle en train de brouter. Et observé les traces d'une hyène, fraîchement passée sur le sentier.

Une fois que nous nous sommes attablés sous l'acacia, la conversation a bifurqué vers Konee, à la recherche active d'une seconde femme. «Je vais aller la chercher sur l'internet!» Il rigole, mais à peine. La culture masaïe est en pleine mutation. Les mariages se font plus tard que jadis, même s'ils sont toujours arrangés par les parents (le premier du moins). Depuis l'an dernier, des Jeux olympiques masaïs permettent aux hommes de se mesurer entre eux. Les Masaïs sont en train de trouver d'autres voies que la traditionnelle mise à mort d'un lion pour rallier les rangs des guerriers. «Maintenant, il faut tuer le lion de l'éducation», dit Konee, père de trois enfants, dont une fille, qu'il espère un jour voir devenir avocate.

Toutefois, certaines traditions ont la vie dure, comme la polygamie ou l'importance capitale du bétail, seul véritable signe de puissance chez les Masaïs. Et la circoncision des hommes, vers l'âge de 10 ans, demeure le grand rite de passage de la société (l'excision des femmes tendrait à diminuer). «Tu ne dois pas pleurer et rester fort, explique Konee, sinon, on te chasse du village.»

La quête des «Big 5»

Les Masaïs ont compris que le lion constituait leur meilleur allié pour attirer sur leurs terres une source de richesse plus grande encore que le bétail: les touristes.

Ces derniers ont remplacé les chasseurs blancs du siècle dernier, mais ils partagent la même obsession pour les «Big 5». Les chasseurs désignaient ainsi les animaux les plus dangereux (et les plus prestigieux) à ajouter à leurs trophées: le buffle, le rhinocéros, le léopard, l'éléphant et le lion.

Dans des véhicules Land Cruiser modifiés pour les safaris, nous avons exploré plusieurs des plus beaux parcs nationaux et réserves fauniques du Kenya dans l'espoir d'apercevoir ces animaux mythiques, mais aussi des hippopotames (plus dangereux encore pour l'humain que le lion...), des zèbres, des girafes.

C'est au pied du pic enneigé du mont Kenya, au nord de Nairobi, que nous avons vu le premier d'une longue série d'éléphants. Et le seul rhinocéros du séjour. Coeur battant, nous avons mitraillé (photographiquement) les deux spécimens comme s'ils allaient s'évaporer. Résultat: photos floues, mais émotions fortes.

Le guide rigolait de nous voir nous exclamer à la vue de ces bêtes cachées dans les hautes herbes printanières, à plusieurs centaines de mètres du véhicule. «Attendez d'être au parc du Masaï Mara, vous verrez!»

Le Mara... Quintessence de l'Est africain avec le Serengeti de la Tanzanie voisine. Lieu de la migration des gnous, considérée comme l'un des phénomènes les plus émouvants du règne animal. L'Afrique telle qu'on l'imagine souvent et telle qu'on la décrit dans les films pour enfants (à commencer par le Roi Lion, de Disney).

Le parc national du Mara figurait à la toute fin de notre itinéraire, comme il se doit. Après le Mara, il faut baisser le rideau et rentrer, car aucun spectacle, disent les Kényans, ne peut le surpasser.

Mais bien avant de vivre la grande finale, nous étions déjà conquis, le coeur battant, par tant d'expériences grandioses. Un coucher de soleil, un verre de rosé à la main, depuis une terrasse juchée dans un arbre. Une nuit sous les étoiles, dans un lit à baldaquin couvert de moustiquaires. Le son d'un animal qui s'abreuve dans la petite piscine privée qui jouxte notre chambre (on apprendra plus tard qu'il s'agissait d'un léopard!). Une randonnée à cheval au milieu des zèbres et des gazelles. Une gamine masaïe qui passe en riant sa main dans nos cheveux. Les babouins qui nous surprennent à la sortie d'un labyrinthe topiaire. Les souvenirs se bousculent, s'accumulent, impossibles à classer en ordre de préférence.

Le meilleur pour la fin

Quand est arrivé le Mara, nous pensions avoir tout vu. Mais les vastes plaines herbeuses, parsemées d'acacias solitaires, forment un panorama comme nulle part ailleurs. Et nulle part la faune n'est aussi riche et diversifiée.

Des élans se sont approchés si près du véhicule qu'on pouvait entendre le cliquetis de leurs articulations. Idem pour le bruit des coups de corne que se donnaient deux girafes en colère. Et les grognements des hippopotames, qui se baignaient dans la rivière au pied de notre luxueuse tente, remplaçaient le chant du coq aux aurores.

Surtout, c'est au parc du Mara que nous avons enfin pu voir des lions; après cinq ou six safaris - à pied, à cheval ou motorisés - le roi des animaux nous échappait toujours.

Notre attente aura été récompensée. Bien informés par un Masaï au volant d'un tracteur (!), nous avons découvert une douzaine de lionnes et de lionceaux s'abritant tant bien que mal sous un arbre maigrichon, dans un amas non identifiable de pattes, de queues et de gueules haletantes. Pour trouver un peu d'ombre, des lionceaux se sont glissés sous un de nos véhicules, étroitement surveillés par une lionne aux pattes immenses. Ashford, notre guide, a à peine sourcillé: «Ils ont le ventre plein, aucun danger.»

En effet, quelques mètres plus loin, un buffle mâle gisait, sur le flanc, l'abdomen grand ouvert. Les lions l'ont tué la nuit d'avant. «Quand le soleil va se coucher, les hyènes, les chacals et les vautours vont se partager la carcasse. Demain matin, il ne restera plus rien.»

Rien, sauf un autre souvenir indélébile d'un voyage qui en aura compté plus qu'aucun autre auparavant.

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Le Kenya en quelques repères

Comment y aller?

Aucun vol direct ne fait la liaison entre Montréal et Nairobi, principale porte d'entrée aérienne au pays. Il faut obligatoirement faire escale en Europe, notamment à Amsterdam, à Paris ou à Francfort. Le prix des billets varie entre 1300$ et 3500$, selon la période de l'année.

Quand y aller?

Les meilleurs moments pour observer la faune sont de la fin juin à octobre - pour la spectaculaire migration des gnous au Mara - ainsi qu'en janvier et en février. Le temps chaud et sec favorise alors les regroupements d'animaux autour des points d'eau. Les prix des hôtels sont toutefois plus élevés. En novembre et en décembre, les prix chutent légèrement en raison des pluies qui tombent parfois sur le pays. La basse saison touristique, de mars à mai, correspond à la véritable saison des pluies. L'observation des animaux peut être plus difficile, les routes sont parfois impraticables et les moustiques sont plus nombreux. Les tarifs d'hébergement baissent de 30% à 50% et les visiteurs sont moins nombreux dans les parcs. Nous avons visité le Kenya au début du moi de mai et la pluie, rare, n'a posé aucun problème. S'il est vrai que les hautes herbes compliquent un peu le repérage des animaux, nous avons tout de même pu voir quatre des célèbres «Big 5».

Combien ça coûte?

La question est prioritaire. Un voyage de safari au Kenya coûte forcément cher. Pour un séjour confortable, mais sans verser dans un excès de luxe, il faut calculer environ 500$ par personne, par jour, pour l'hébergement, les repas, les safaris guidés (avec accès au parc, entre 40 et 80$US par jour) et les déplacements terrestres dans le pays. Ces coûts n'incluent pas le vol vers le Kenya et les vols intérieurs. Le Kenya offre de nombreuses formules d'hébergement, allant du camping nomade au cinq étoiles à plus de 1000$ la nuit. Les principales économies (ou extravagances) peuvent être faites sur l'hébergement.

Combien de temps partir?

Prévoir au minimum sept jours pour la visite de deux parcs (voire trois), excluant le Tsavo, le plus grand de tous. Pour ajouter la visite du Tsavo ou de la côte de l'océan Indien, mieux vaut prévoir un séjour d'au moins 12 jours.

Comment se déplacer à l'intérieur du pays?

La qualité des routes a grandement augmenté au cours des dernières années, ce qui facilite les déplacements terrestres dans le sud du pays. Voler reste toutefois la façon la plus rapide de se déplacer d'un parc à l'autre. Deux compagnies aériennes, Air Kenya et Safari Link, proposent des vols intérieurs à bord d'appareils de type Cessna, qui peuvent accueillir entre 13 et 37 passagers. Pour un aller simple entre Nairobi et le parc du Massaï Mara, soit une heure de vol environ, il faut compter autour de 200$ par personne.

Quelles sont les formalités d'entrée?

Un visa de touriste est exigé pour les Canadiens. Il est possible d'en faire l'achat directement à l'aéroport, en payant 50$US en argent comptant. Le visa permet d'entrer une fois au Kenya et est valide trois mois.

Faut-il s'inquiéter pour sa sécurité?

L'attaque d'un centre commercial à Nairobi, le 21 septembre dernier, a mis sur la sellette les groupes terroristes islamistes de l'Afrique de l'Est, dont les attentats ciblent en particulier les Occidentaux. Si les possibilités d'une nouvelle attaque ne peuvent être écartées, certaines précautions permettent d'accentuer la sécurité des voyageurs de passage au Kenya. Ainsi, le ministère des Affaires étrangères du Canada recommande d'éviter le nord-est du pays, à moins de 150 km de la Somalie. Les régions frontalières avec le Soudan du Sud et l'Éthiopie sont aussi à éviter, tout comme le quartier d'Eastleigh, à Nairobi, où plusieurs attaques ont eu lieu récemment. Pour dire vrai, Nairobi en entier souffre d'un problème de criminalité. La ville connaît une recrudescence de kidnapping (autant chez les visiteurs occidentaux que dans la population locale) et les vols sont fréquents. Et ses plus beaux attraits (orphelinat pour éléphants et girafeaux, parc national dans sa proche banlieue) ne valent pas les grandes étendues sauvages du Mara ou du Tsavo. Bref, on ne fait qu'y passer. Et c'est parfait ainsi.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par l'Office de tourisme du Kenya. Transport aérien assuré par KLM.

Où observer les «Big 5»?

Le lion, l'éléphant, le buffle, le rhinocéros et le léopard. Les cinq animaux les plus prisés par les chasseurs de l'époque - parce qu'ils sont les plus difficiles à capturer et les plus dangereux pour l'homme - restent aujourd'hui les vedettes incontestées de la faune kenyane. Si tous ces animaux cohabitent dans la plupart des parcs du Kenya, certains parcs sont mieux adaptés à leur survie.

Rhinocéros

Outre les volées de flamants roses qui ont fait sa réputation, le parc national du lac Nakuru constitue l'un des meilleurs endroits au Kenya pour observer tant les timides (et dangereusement menacés) rhinocéros noirs que les plus placides rhinocéros blancs. Peu importe l'espèce, ils se tiennent souvent près du lac, sur la rive sud. On estime que seuls 630 rhinocéros survivent aujourd'hui au Kenya.

Lion

Si les lions sont les rois incontestés de la jungle africaine, dans le parc national de Tsavo East, ils traînent aussi une réputation de mangeurs d'hommes. À la fin du XIXe siècle, 2 lions ont fait 140 victimes parmi les travailleurs du chemin de fer qui rallie aujourd'hui l'Ouganda. Sur ces immenses étendues de terre rouge et d'herbes, les lions se laissent assez facilement surprendre en train de paresser au soleil. Les éléphants, couverts de poussière rouge, sont les autres grandes vedettes du parc.

Buffle

Cet imprévisible - et dangereux - ruminant des savanes adore les milieux plus humides, où l'eau, les graminées et les plantes aquatiques abondent. Le parc national de Meru, avec sa végétation luxuriante et ses nombreux cours d'eau permanents provenant du mont Kenya, assure la subsistance de nombreux buffles. Ce parc, encore peu fréquenté, est considéré comme l'un des secrets les mieux gardés du pays.

Éléphant

De tout le continent africain, il n'existe pas de meilleur endroit que le parc national d'Amboseli pour observer - de très près - les éléphants. Quelque 1200 éléphants à longues défenses peupleraient ce territoire de 390 km2, dominé par les pics enneigés du Kilimandjaro voisin. Pour trouver eau et nourriture, les éléphants suivent les couloirs migratoires empruntés depuis toujours par leurs ancêtres.

Léopard

Insaisissable léopard... Avec son excellent camouflage, il est le seul qui manque à notre carnet de safari, comme à celui de plusieurs voyageurs. Le meilleur endroit pour les apercevoir: le parc national de Masaï Mara, en particulier pendant la grande migration des gnous. Animaux nocturnes et la plupart du temps solitaires, les léopards sont souvent juchés au sommet des arbres, ou cachés dans les broussailles près des berges des cours d'eau.