Quelques semaines après la révolte qui a poussé les visiteurs occidentaux à fuir l'Égypte, les voyagistes espèrent bien faire de la place Tahrir, le coeur de la contestation, une mine d'or capable de rivaliser avec les Pyramides de Gizeh. Cet énorme rond-point engorgé du centre du Caire est devenu mondialement célèbre depuis que des centaines de milliers de personnes l'ont occupé pour exiger le départ du président Hosni Moubarak, acculé à la démission le 11 février après avoir passé près de 30 ans au pouvoir.

La compagnie nationale Egyptair a posté sur son site et sur YouTube un petit film intitulé «Les ailes de la liberté de la révolution égyptienne» --montage lyrique de vidéos du soulèvement suivi d'images des plages de la mer Rouge, des Pyramides et du Sphinx-- entrecoupé de citations flatteuses. «Les Égyptiens ont changé le monde (...). Le monde en a pris note», dit ainsi le président américain Barack Obama, tandis que le romancier Paulo Coelho affirme «le monde ne devient meilleur que parce que des gens risquent quelque chose pour le rendre meilleur. Merci aux Égyptiens!».

Le tourisme, qui a rapporté 13 milliards de dollars en 2010, soit 6% du PIB égyptien, a été très affecté par la crise, amenant de nombreux voyagistes à mettre le tourisme «révolutionnaire» à l'affiche. «C'est bien qu'on soit sur la place Tahrir. Ça veut dire que les affaires vont être bonnes à l'avenir», dit Alaeddine Morsi, le directeur d'El Wedian Tours, qui donne sur le rond-point et actualise son site internet pour y vanter l'endroit. «Le tourisme en Égypte ne mourra jamais. Il peut tomber malade, mais ne mourra pas», assure-t-il. Il admet toutefois que les affaires n'ont jamais été aussi mauvaises que pendant la révolution.

Les hôtels sont quasi vides, les boutiques de souvenirs désertes. Les voyagistes se tournent les pouces derrière leur comptoir et les touristes hésitent encore à revenir. En mai, M. Morsi accueillera toutefois vingt-cinq Américains pour un tour qui englobera les Pyramides, Louxor, Assouan, ainsi que des églises et des mosquées du Caire. Mais la place Tahrir, vue en boucle à la télévision lors des batailles rangées entre pro et anti-Moubarak, puis lors des fêtes une fois de raïs parti, est désormais réclamée par les visiteurs. «Beaucoup de gens demandent +allons-nous passer par Tahrir+? Le jour où ils vont au Musée égyptien, ils vont sur la place», dit-il en allusion au musée des antiquités pharaoniques situé à proximité. Les hauts responsables étrangers venus en visite au Caire après la chute de M. Moubarak ont tenu à faire quelques pas à Tahrir.

La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a décrit son passage comme «exaltant», tandis que son compatriote le sénateur John Kerry a été salué par des Américaines enchantées et des Égyptiens ravis de le voir de près. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a été moins chanceux: encerclé par des Libyens pro-Kadhafi, il a dû quitter les lieux dans la précipitation. Le voyagiste flyingcarpettours.com met déjà la place Tahrir à l'honneur sur son site. Son directeur, Dhiaa Gamal, qui a lui-même manifesté à Tahrir, affirme que les Grecs ont été les premiers à s'arracher les visites organisées, avec au programme des discussions avec des manifestants le mois prochain. «Toutes ces émotions, ces gens de toutes les classes sociales venus manifester m'ont fait réaliser que l'endroit était devenu un monument», explique-t-il.

Edna Wilson, qui vient fréquemment en Égypte d'Atlanta, aux États-Unis, se dit «très fière» du soulèvement. Sa priorité était de visiter Tahrir «à cause des vies qui ont été perdues et à cause des jeunes gens que j'ai vus là-bas. Mais je pense que beaucoup d'Américains seront plus partagés», affirme-t-elle.