Après deux guerres civiles, la République démocratique du Congo veut s'ouvrir au tourisme. Le plus grand pays francophone du monde ne manque pas d'atouts: superbes parcs nationaux, paysages sublimes et culture musicale effervescente. Dans l'est du pays, la situation politique est encore instable, mais on y fait des rencontres étonnantes...

Pour arriver au village de Bunyungule, il faut emprunter une étroite tranchée qui serpente, à flanc de colline, au milieu de champs de thé.

«Nous sommes contents d'accueillir des visiteurs»,  lance en swahili le chef coutumier, Ntavuna, venu accueillir un groupe d'une dizaine de spécialistes conviés à un «voyage exploratoire» en République démocratique du Congo. «Une maison qui ne reçoit pas de visiteurs n'est pas une bonne maison.» Il arbore les attributs de sa fonction: la toque en peau de civette et la queue de buffle. Ntavuna, qui ne mesure guère plus de 1,20 m, est le grand chef des Pygmées du territoire de Kabare, dans la province congolaise du Sud-Kivu.

À côté des anciens aux visages ravinés qui l'encadrent, il a l'air d'un gamin. «J'ai 30 ans», répond-il à l'interprète qui lui pose la question. «Je suis devenu chef quand mon père est mort, il y a 15 ans.» Chez les Pygmées Batwa d'Afrique centrale, la dignité de chef est héréditaire.

Nous le suivons dans le village composé de huttes de feuillages montés sur des armatures de branchages. Sur le terre-plein qui fait office de «place centrale» se dresse une structure plus moderne: un toit de tôle appuyé sur une charpente d'excellent bois de construction. C'est l'église construite par les missionnaires de la Communauté pentecôtiste d'Afrique centrale. Presque tous les habitants du village ont embrassé la foi chrétienne. «Lorsque nous vivions encore là-bas, nous honorions les esprits de la forêt, explique le chef. Mais les esprits de la forêt, qui nous protégeaient et nous fournissaient de quoi boire et manger, ne nous ont pas suivis jusqu'ici.»

Expropriation

Les Pygmées du Sud-Kivu vivaient avec les gorilles et les éléphants, dans la forêt secondaire qui occupe la plus grande partie du territoire du grand parc national Kahuzi-Biega. Ils y chassaient l'antilope, le porc-épic, le rat de Gambie et le singe, dont la chair serait particulièrement délectable.

Mais lorsque les autorités ont décidé de décupler la superficie du parc, en 1975, ils ont exproprié les 580 familles qui y vivaient: entre 3000 et 6000 personnes. «On nous a installés ici, où nous ne disposons pas de terres à cultiver ni de territoires de chasse, se plaint le chef. Ils devaient nous fournir des emplois de pisteurs dans le parc. Mais ils ont embauché une vingtaine d'entre nous seulement.»

Le village n'est pas tout à fait dépourvu de terres à cultiver, car près du terre-plein où nous nous trouvons, de superbes plants de cannabis déploient leurs rameaux dans un petit jardin. Un homme d'une quarantaine d'années s'avance, portant une pipe de bois qui fait presque la moitié de sa taille. Il y insère des feuilles de marijuana et se met à fumer. Poliment, il nous tend la pipe pour ne pas avoir l'air égoïste. C'est en fumant du chanvre que les Pygmées se mettaient en état de communiquer avec les esprits de la forêt. Même si la communication est rompue, la coutume ne s'est pas perdue. «Au début, les autorités envoyaient la police et ils rasaient les plants de cannabis. Mais nous nous sommes plaints, car ce sont nos coutumes. Aujourd'hui, ils nous laissent tranquilles avec ça.»

Bientôt, tout le village est rassemblé sur le terre-plein. La moitié des habitants sont trop grands pour avoir l'air de Pygmées. Ils sont pourtant considérés comme tels. Ce sont les individus issus de relations entre Pygmées et «Bantous», comme le chef appelle les Congolais de taille «normale». «Lorsque nous vivions encore dans la forêt, les Bantous venaient nous voir pour faire du troc. Ils nous amenaient de la farine de manioc, de l'huile de palme pour la cuisson et du sel qu'ils échangeaient contre de la viande. Nous avons toujours eu des contacts.»

La foule se met à danser en notre honneur, au son de la musique produite par un petit orchestre équipé d'instruments traditionnels. Lorsque nous repartons, une heure plus tard, non sans avoir distribué les cadeaux que nous avions apportés, presque tous les habitants nous accompagnent jusqu'à la route.

«Nous vivons une mauvaise vie»

Plus tard dans l'après-midi, nous arrivons à Cibati, autre village pygmée. Ici, le chef a 48 ans, mais il en fait 10 de plus. Il est aveugle. Les Interahamwe, ces rebelles hutus qui infestent encore l'est du Congo, lui ont crevé les yeux il y a une dizaine d'années. «Ils voulaient enrôler des hommes qui étaient partis se cacher dans la forêt et ils ont voulu me faire dire où ils se terraient», explique-t-il. Il y va des mêmes doléances que son collègue de Bunyungule. «Ici, nous menons une mauvaise vie. Dans la forêt, nous avions toutes les plantes médicinales dont nous avions besoin pour nous soigner. Ici, il faut aller au dispensaire et nous n'avons pas l'argent pour ça.»

On estime à 600 000 la population de Pygmées de la République démocratique du Congo. La plupart vivaient dans la forêt équatoriale du centre du pays, mais l'Institut congolais pour la conservation de la nature les expulse pour créer des parcs nationaux. Ils se considèrent comme le peuple autochtone du Congo, car ils y étaient implantés depuis des milliers d'années lorsque les Bantous sont arrivés, vers 2000 avant notre ère. Leur petite taille (entre 1,30 et 1,50 m) n'est pas le fait d'une déformation génétique, mais le résultat d'une adaptation progressive à la forêt équatoriale, où il vaut mieux être petit pour se déplacer rapidement.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Brussels Airlines, Air Canada et le voyagiste Aviatours.