Kwilu est un bambin turbulent. Il n'arrête pas d'agacer sa soeur, Kasaï; alors que je converse avec leur mère adoptive, Evelyn Pitault, il s'acharne à tirer le bas de mon pantalon comme s'il voulait me l'arracher. Evelyn se montre plutôt indulgente. «Lorsque Kasaï et Kwilu sont arrivés ici, j'ai été terrassée par une fièvre apparentée à la malaria et Kwilu l'a contractée aussitôt», dit-elle comme pour l'excuser.

Lors de ma visite, Kwilu se portait comme un charme. Kasaï et lui sont deux bonobos (on les appelle aussi chimpanzés nains) âgés respectivement de 3 ans et deux ans et demi. Comme tous les grands primates, ils sont très sensibles aux maladies humaines, car leur patrimoine génétique est presque identique au nôtre.

Comme chez les humains, les petits bonobos sont très dépendants de leur mère. Quand elle est tuée, ils refusent de s'alimenter et meurent au bout de quelques semaines. C'est le sort qui attendait Kasaï et Kwilu, dont les génitrices ont été tuées par des braconniers. Ils ne doivent leur survie qu'au fait d'avoir été recueillis et envoyés dans cet orphelinat pour bonobos situé à une trentaine de kilomètres au sud de Kinshasa. La fondation Lola ya Bonobos («Paradis des bonobos», en lingala) recueille les orphelins et les fait élever par des mères de substitution humaines, avant de les réinsérer dans un groupe, puis dans la forêt équatoriale.

Fondé en 1994 par la Française Claudine André, ce sanctuaire héberge actuellement une cinquantaine d'individus, dont une quinzaine de jeunes de moins de 6 ans, tous confiés à de jeunes femmes qui font office de mères de substitution. Mais avant d'être introduits dans l'enclos des bébés, ils doivent observer une période de quarantaine. Ils sont alors pris en charge par une maman humaine, en l'occurrence Evelyn Pitault, Française qui travaille à l'orphelinat depuis quelques mois. «Il y a 15 jours que je m'occupe de Kasaï et Kwilu», dit-elle. Elle ne les dorlotera pas plus de deux mois. Lorsqu'elle estimera qu'ils sont suffisamment en santé pour être intégrés au groupe des autres bambins bonobos, Évelyn les confiera à Mimi ou à une autre des quatre mères de substitution qui passent leurs journées dans cet enclos réservé aux petits de moins de 7 ans. «Au début, je resterai deux heures avec eux dans l'enclos et je les laisserai seuls un quart d'heure, car c'est le maximum qu'ils supporteront, mais à mesure qu'ils s'habitueront à leur nouvelle mère, je passerai de moins en moins de temps avec eux», explique-t-elle.

Les quatre «mères» s'occupent des bambins de 8h à 16h. Après 16h, les jeunes regagnent les dortoirs où, épuisés, ils s'endorment rapidement.

La structure sociale des bonobos est matriarcale: ce sont les femelles qui exercent le pouvoir. Les bonobos ne vivent qu'en République démocratique du Congo (RDC), et plus particulièrement dans une forêt primaire qui s'étend sur 200 000 km2 dans la province de l'Équateur.

Les guerres qui ont ravagé le pays ont entraîné des déplacements de population. Pour survivre, les paysans, qui ont perdu leurs terres, chassent. Le bonobo figure parmi les différentes espèces de gibier prisées pour leur viande. Les braconniers tuent les adultes et emmènent les bébés pour les vendre comme animaux domestiques. Cette pratique est interdite par les autorités, qui récupèrent les orphelins.

Lorsqu'ils atteindront l'âge de 7 ans, Kwilu et Kasaï seront intégrés à un groupe dans un des trois autres enclos du sanctuaire. Ils y passeront huit ans, histoire d'assimiler les comportements sociaux. Vers l'âge de 15 ans - celui de la maturité sexuelle , ils seront peut-être relâchés dans leur milieu naturel. Mais ça, c'est une autre histoire.

Le sanctuaire Lola ya Bonobo est situé en périphérie de Kinshasa et est ouvert aux visiteurs du mardi au dimanche, de 10h à 16h. Info: www.lolayabonobo.org