Bien sûr, le Sénégalais Madické Diakhaté préférerait ne pas voir de maisons en ruine ou rénovées à coups de béton dans sa ville de Saint-Louis, classée depuis 2000 au Patrimoine mondial de l'humanité. «Quand même, dit-il, elle n'est pas défigurée. Pas encore.»

Dans la première ville fondée par les colons français en Afrique subsaharienne, M. Diakhaté, conseiller spécial du maire en matière culturelle, sirote un espresso non loin de la Gouvernance, un monument historique, avec vue sur le pont Faidherbe, un autre monument historique.

 

Pourtant, sa bien-aimée Saint-Louis, qui fête cette année le 350e anniversaire de sa fondation, n'a rien d'une ville-musée. Elle vit normalement, respire nonchalamment sur son île au milieu du fleuve Sénégal, sans se soucier de faire perpétuellement bonne figure aux touristes.

Devant une échoppe de vente de lait caillé, des cabris mastiquent du carton. Des collégiennes en blouse rose croisent des visiteurs étrangers en calèche, surpris par les contrastes que réserve la visite: une demeure coloniale respectueusement réhabilitée, avec toit de tuiles et balcon de bois bordé de sa balustrade en fer forgé, jouxte une maison tombée à terre, tas de pierres.

M. Diakhaté, Saint-Louisien de 69 ans, ne peut que déplorer que certaines façades aient été couvertes de «faïence» voire «de carreaux chinois». Il regrette de «belles portes en pichepin, disparues, qui disaient beaucoup de choses».

Il ne s'offusque donc pas que le comité du Patrimoine mondial de l'UNESCO ait menacé, l'an dernier, de «déclasser» Saint-Louis, en la plaçant dans la catégorie «patrimoine en péril».

Un «rappel à l'ordre» pris très au sérieux. «On est allés jouer les pompiers à Paris, siège de l'UNESCO, pour leur dire «mea maxima culpa, laissez-nous rectifier!» raconte M. Diakhaté.

À la direction de l'agence de développement communal, Mamadou Diop rappelle qu'en juin 2008, un décret a été signé pour appliquer le «plan de sauvegarde et de mise en valeur» de l'île.

Plus question de tout «laisser faire», assure-t-il. «Quand quelqu'un vient pour déposer un projet d'adaptation du bâti, on lui sort la fiche détaillée de sa maison.»

L'inventaire architectural et urbain mené notamment par des étudiants de l'école d'architecture de Lille (France) et de Saint-Louis, compte 1500 fiches, avec plans et photographies. Sur celle de l'ancienne Assemblée territoriale du fleuve, on lit: «Datation, entre 1856 et 1908. État, mauvais. Intérêt architectural, exceptionnel». «Pour la retaper à l'identique, la Wallonie Bruxelles a apporté 305 000 euros, soit 80 à 90 % du budget», affirme M. Diop.

Afin de rénover le Rognât sud, caserne du XIXe siècle, c'est la coopération espagnole qui a sorti 762 000 euros. M. Diop n'oublie pas de glisser, par comparaison, que Saint-Louis a «un budget global de seulement 3 millions d'euros pour la santé, l'éducation et l'eau».

Pour faire respecter les héritages de son histoire - maisons coloniales, mais aussi lieux de la traite des esclaves -, la ville dispose à présent d'instruments juridiques.

Mais elle tolère des infractions criantes. Deux maisons bâties sans respecter les critères sont, de notoriété publique, propriétés de ministres. L'une, à deux étages, exhibe une façade en partie carrelée. L'autre, également trop haute, est en construction avec force béton. «Malheureusement, ces gens qui ont outrepassé les règles sont membres du gouvernement», constate anonymement un responsable communal, espérant «qu'un temps viendra pour démolir cela».