Loin, très, très loin des côtes de l'Argentine, existe une île rocheuse livrée aux vagues de l'océan Austral et à la fureur des cinquantièmes rugissants. C'est la Géorgie du Sud. Ce territoire britannique d'outre-mer est localisé en pleine convergence antarctique. Longtemps terrain de chasse intensive à la baleine, au phoque et au manchot, c'est aujourd'hui un véritable sanctuaire pour la faune ouvert au tourisme... sous certaines conditions.

La découverte de territoires sauvages est, fort heureusement, du domaine du possible. Ils sont peut-être rares, mais cette rareté est soulignée par leur inaccessibilité... ou presque. L'Antarctique et toute la région subantarctique (la zone circumpolaire autour du pôle Sud) répondent au critère de territoire sauvage. Toute cette zone australe, qualifiée de fragile, est sous haute sécurité afin de préserver la faune et la flore sauvages qui l'habitent.

 

L'île de la Géorgie du Sud n'est accessible que par bateau et le port le plus proche est celui d'Ushuaia en Terre de Feu (au sud de l'Argentine). Après trois jours de navigation dans le sud de l'océan Atlantique, dont un marqué par une tempête digne du passage de Drake, les hautes montagnes enneigées de la Géorgie du Sud se détachent de l'horizon.

Le Diamant, un navire de croisière français spécialisé dans la navigation en Antarctique, se dirige vers l'extrémité ouest de l'île. Notre destination : Salisbury, une simple plage de galets où se tient un groupe d'otaries à fourrure antarctiques dont la concentration est phénoménale. Celle-ci est le reflet de l'omniprésence de ce mammifère marin : une population de quatre millions d'animaux en Géorgie du Sud!

Nous jetons l'ancre dans la baie des îles, avec des noms évocateurs tels que l'île Prion, l'île Albatros ou encore l'île Sterne. La Géorgie du Sud est un véritable paradis pour les amateurs d'oiseaux!

Le débarquement se fait en zodiaque. Les vagues déferlant en rouleaux rendent le débarquement sur cette plage délicat. Même si nous sommes en été austral, un vent chargé de neige souffle en bourrasques... Nous sommes immédiatement accueillis par les otaries. Durant cette période de mise bas et de rut, les mâles dominants qui défendent leur harem et leur territoire manifestent nervosité et agressivité.

La colonie de manchots royaux (la manchotière), forte de 150 000 individus, s'étire ici sur au moins trois kilomètres. Après quelques instants d'hésitation, les jeunes, arborant encore un plumage brun chocolat, et les adultes, poussés par la curiosité, viennent à la rencontre des visiteurs «endimanchés» dans leurs gros anoraks d'un rouge vif. Certains s'enhardissent jusqu'à piquer nos bottes. Après quelques heures d'observation, nous quittons la baie sous le soleil et Le Diamant longe l'île Albatros. De nombreux grands albatros nichent sur les hauteurs de cette île.

Baie Fortuna

En début d'après midi, notre navire fait route vers la baie Fortuna. Un groupe de passagers est alors débarqué. De là, les randonneurs rejoindront Stromness, revivant ainsi les derniers moments de l'héroïque traversée de l'île de la Géorgie du Sud par Ernest Shackleton et ses deux compagnons, qui devaient absolument gagner une station baleinière en activité pour trouver du secours et pouvoir récupérer les hivernants restés sur l'île Elephant.

Cette marche du souvenir débute par une ascension dans le tussock (hautes herbes très résistantes) pour rejoindre un col occupé par le lac Crean, avant de basculer sur le versant opposé et découvrir la baie de Stromness.

Nous sommes aidés par une météo exceptionnelle : un beau et grand soleil et peu de vent à terre (ce qui n'est pas le cas dans la baie).

Pendant ce temps, Le Diamant poursuit son chemin pour se positionner dans la baie de Stromness, face à la station baleinière pour y attendre les randonneurs.

Jour 2

Le lendemain matin, nous débarquons à Grytviken, première station baleinière en Antarctique, qui fonctionna de 1904 à 1965. Nous nous rendons tout d'abord dans le petit cimetière des baleiniers, à l'est de la station, sur la tombe de Sir Ernest Shackleton. En effet, l'explorateur, après sa traversée héroïque de la Géorgie du Sud, revient dans la région à la fin de l'année 1921. Le 5 janvier 1922, des baleiniers retrouvent Shackleton terrassé par une violente crise cardiaque. L'épouse de l'explorateur, Emily, demande à ce que son mari soit enterré sur place.

Après avoir rendu hommage au boss, le commandant du Diamant, Étienne Garcia, rappelle la célèbre phrase de Raymond Priestley, officier de l'expédition de Scott : «Comme chef d'expédition, donnez-moi Scott. Pour un raid rapide et efficace, Amundsen... Mais quand l'adversité vous entoure et que vous ne voyez pas d'issue, agenouillez-vous et priez que l'on vous envoie Shackleton».

La station baleinière de Grytviken est la seule entretenue sur l'île, non pas pour continuer la chasse à la baleine, mais comme lieu de souvenir et patrimoine contre la bêtise d'une chasse d'extermination. Le terrain est vaste et illustré par de nombreux bâtiments, d'anciens réservoirs d'huile et d'essence et des navires baleiniers en train de rouiller.

Le succès des premières campagnes baleinières norvégiennes en Antarctique en 1904 fait de grands bruits et attise la convoitise des compagnies baleinières, qui voient leurs stocks diminuer dans l'hémisphère Nord, et la réglementation se durcir. Au sommet de l'activité, en 1918, six stations terrestres fonctionnent à plein régime en Géorgie du Sud.

À partir de 1923, lorsque la baleine devient rare et les lieux de chasse plus éloignés, on assiste au développement des navires usines. Au total, on estime les prises entre 1904 et 1966 à 175 250 baleines, produisant plus de neuf millions de barils d'huile. Depuis, le rorqual bleu est devenu une espèce en voie de disparition, alors que les autres espèces de baleines se font rares le long des côtes de l'île.

Le Diamant lève l'ancre au début de l'après-midi. En sortant de la baie, un troupeau d'orques chasse quelques otaries. Ces gros dauphins de cinq mètres de long, noirs et blancs, quittent alors leur zone de chasse pour observer le navire. Les passagers sont fous de joie en observant ces magnifiques cétacés jouer à l'étrave du Diamant. Malheureusement, ils nous quittent précipitamment pour aller chasser de nouveau quelques otaries qui marsouinent au-dessus des eaux bleues de la convergence antarctique.

Saint-Andrews

L'après-midi est réservée à la découverte de notre seconde colonie de manchots royaux, celle de la baie de Saint-Andrews (environ 200 000 individus). Le débarquement se fait sur une plage bondée de jeunes mâles éléphants de mer. Ces gros mammifères marins, dont certains dépassent les deux tonnes, observent les passagers, puis s'endorment aussitôt.

Nous nous faufilons entre les groupes d'éléphants de mer et d'otaries, puis remontons la rivière dont les berges sont occupées par des manchots royaux adultes en mue. Le tussock recouvrant les pentes offre un couvert idéal pour les otaries qui viennent de naître.

Jour 3

Le jour suivant, au petit matin, le navire jette l'ancre à Gold Harbour. Mer calme, brouillard épais. La baie avait été nommée par l'expédition allemande conduite par Filchner qui la baptisa Goldhafen, peut-être à cause de la pyrite de fer qu'ils trouvèrent dans la baie, en 1911. Nous débarquons assez rapidement sur la plage.

Manchots royaux, éléphants de mer et jeunes otaries surgissent brusquement, poussés par la curiosité. Le voile se déchire peu à peu, laissant apparaître un paysage majestueux. L'anse est protégée par d'abruptes montagnes d'où descend le glacier Betrab. Le long du torrent se concentrent les manchots royaux en pleine période de mue. Nous progressons prudemment vers la crèche de manchots royaux. Les jeunes, aussi étonnés que nous, s'avancent jusqu'à piquer nos bottes. Le tussock est largement colonisé par les otaries et même par les éléphants de mer.

En revenant sur la plage de débarquement, nous découvrons un bébé éléphant de mer allongé sur les sacs de survie. Ce jeune mammifère marin de plus de 100 kilos se réveille en nous voyant et vient aussitôt se lover près d'un des passagers. Les animaux des terres australes ne craignent pas l'homme. Ils ne sont plus chassés depuis des décennies et donc, n'associent pas l'humain à un prédateur!

De retour à bord du Diamant vers 17h, le commandant Garcia propose de prolonger encore un peu la navigation en Géorgie du Sud par la remontée du grand fjord Drygalski, complètement au sud de l'île. Avant de quitter la baie de Gold Harbour, Le Diamant longe le magnifique glacier Betrab pour se diriger vers le fjord.

En chemin, nous croisons d'immenses glaciers tabulaires arrivant de la mer de Weddell en Antarctique. Nous apercevons deux souffles de baleines. Il s'agit d'une femelle rorqual à bosse accompagnée de son jeune. Les deux animaux respirent quelques minutes à la surface, en lançant au-dessus de leur tête un haut geyser de particules d'eau, puis sondent en levant leur immense queue et disparaissent aussitôt dans l'infini liquide.

L'entrée du fjord est en vue. Ce fjord encaissé est impressionnant. Le Diamant se fraye un passage à travers les growlers charriés des différents glaciers qui se jettent dans la mer. La remontée du fjord se prolonge plus d'une heure, l'étrave flirtant avec les glaçons. La sortie du fjord souligne malheureusement la fin de l'expédition en Géorgie du Sud.

Le Diamant met le cap vers le sud, puis vers l'ouest pour longer la côte méridionale de l'île en direction de l'Argentine. Peu à peu, les montagnes enneigées de la Géorgie du Sud s'estompent à l'horizon. Le navire est suivi par de nombreux albatros. Ces immenses oiseaux marins planent au-dessus des eaux froides dans l'intention de repérer quelques poissons ou calmars nageant à la surface de la mer. Trois jours seront alors nécessaires pour rejoindre le port d'Ushuaia.

Repères

Géorgie du sud Liens d'intérêt

The Commissioner for South Georgia and the South Sandwich Islands www.sgisland.org

Adresse courriel gov.house@horizon.co.fk

The South Georgia Association www.southgeorgiaassociation.org

South Georgia Museum : sgmuseum@south.nerc.bas.ac.uk

The South Georgia Heritage Trust www.sght.org