«C'est là où les trois pays se donnent la main», dit-on de l'aéroport Bâle-Mulhouse-Fribourg. Officiellement, on atterrit en France, au sud de l'Alsace en fait, mais la Suisse est à quelques kilomètres à peine tout comme Fribourg, porte de la magnifique Forêt-Noire, au sud-ouest de l'Allemagne, juste de l'autre côté du Rhin. Du trois dans un, peut-être même du quatre dans un puisque, si l'on ajoute que l'Italie du Nord est à quelques heures d'auto, c'est vraiment un centre névralgique hors du commun.

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Au sud de l'Alsace, Mulhouse a déjà été suisse. Ici, pas de ces maisons à colombages qui rendent l'Alsace si typique. Mulhouse a déjà été cité libre, elle a fait sa fortune d'abord grâce aux puissantes corporations qui l'ont dirigée et qui ont laissé en héritage des noms de rues (des maréchaux, des boulangers, des tanneurs) puis grâce à un dynamisme qui en ont fait une figure de proue de l'industrie du textile et de l'automobile.

Il y a 20 ans, lors de ma première visite en Alsace, nous avions soigneusement évité Mulhouse qu'on disait laide et sans grand intérêt pour contourner le Ballon d'Alsace et remonter de l'autre côté des Vosges. En y mettant le pied récemment, j'ai vite réalisé que j'avais eu grand tort il y a 20 ans. Ne serait-ce que pour ses musées absolument uniques, Mulhouse, baptisée Capitale européenne des musées techniques, vaudrait cent fois le détour. Mais il y a plus. Avec l'avènement du tramway et la décision des autorités de rendre le centre-ville piétonnier, Mulhouse a acquis un charme qui la rend des plus attrayantes.

En 1798, les citoyens de la ville se sont réunis devant l'église pour prendre une décision importante, celle de devenir français. La décision n'avait rien de patriotique. La France avait décidé de couper l'herbe sous le pied à cette petite république indépendante dont l'industrie d'impression sur étoffes faisait grand tort aux compagnies françaises en lui imposant des frais de taxes et de douane extrêmement lourds. La seule façon d'éviter ces frais, c'était de devenir français. Une décision pragmatique tout à fait mulhousienne.

De ce jour, l'endroit s'est appelé Place de la Réunion, une immense place que président à la fois l'église et l'ancienne mairie toute rouge devenue musée d'histoire. C'est là que bat le coeur de la ville. Alors que je prenais une photo, un vieux monsieur promenant son chien m'aborde: «Marchez Mulhouse, madame, personne ne le fait plus guère de nos jours! Et c'est un tort.» La promenade, dans ces rues sans auto, est en effet charmante. Maisons anciennes, trompe-l'oeil fort réussis peints dans les fenêtres ou sur les murs et typiques venelles nous racontent plein d'histoires. Quant aux boutiques, elles nous parlent joliment de mode contemporaine et branchée. C'est ce vieillard aussi qui me montrait du doigt la Klapperstein, cette pierre étrange, façonnée en visage grimaçant, pendue sur le côté de la mairie et qu'on suspendait au cou des personnes trop bavardes ou médisantes. «Des femmes évidemment», me dit le bonhomme en souriant.

Si la mairie de style Renaissance rhénane est devenue musée, les mariages y ont toujours lieu et on dit que l'escalier double qui monte d'un côté et redescend de l'autre permet à la future mariée de changer d'idée et de s'éclipser sans rebrousser chemin. Personne toutefois ne se souvient que quelqu'une en ait profité un jour.

Est-ce dû à leur caractère ou à la chance, les Mulhousiens ont su éviter bien des querelles. Ainsi, on dit que lors de la montée de la Réforme, ils se sont endormis catholiques pour se réveiller protestants. De nos jours, les 50 % de catholiques partagent la ville avec 25 % de musulmans et 25 % de juifs et de protestants.

La ville a été envahie par les nazis lors de la Deuxième Guerre mondiale. Les habitants se sont bien marrés lorsqu'Adolf Hitler a décidé, comme à son habitude, de rebaptiser la rue principale Adolf-Hitler-Strasse. La rue s'appelait originalement «rue du Sauvage». Devant les moqueries à peine voilées, Hitler-le-Sauvage a vite reculé et s'est rabattu sur une placette.

Outre ces sauts dans l'Histoire, l'intérêt d'une visite à Mulhouse réside évidemment dans ses nombreux musées techniques, que ce soit la Cité de l'automobile, fascinant voyage en soi, le Musée de l'impression sur étoffes où les plus grandes maisons de mode ont souvent puisé leur inspiration ou ces autres musées consacrés à l'électricité, au train, au papier peint, etc. Une mention toute spéciale aussi pour l'écomusée d'Alsace, à ciel ouvert et extraordinairement vivant, qui nous plonge dans l'Alsace paysanne. Idéal avec les enfants. Tout comme d'ailleurs le jardin zoologique et botanique qu'on dit un des plus beaux d'Europe.

Fiers de leur réalité mais conscients de leur différence, les Mulhousiens ont choisi cette devise touristique qui leur va plutôt bien: «L'Alsace autrement.»

Quand mode et Histoire s'imbriquent

La maison Hermès vient y puiser l'inspiration pour ses célèbres carrés mais aussi Ikea, qui a élaboré une gamme de linge de maison à partir de tissus créés au XVIIIe siècle. Le Musée de l'impression sur étoffes, qui compte six millions de motifs et trois millions d'échantillons textiles et de documents d'archives, reçoit ainsi des stylistes du monde entier qui viennent chercher dans ses exceptionnelles collections des idées pour les tissus de demain.

La première manufacture de textiles de Mulhouse fut ouverte en 1746. Dès 1833, les industriels locaux décident de conserver leurs créations pour inspirer les dessinateurs et parfaire leur apprentissage. C'est de cette collection qu'est né le musée.

Pour le touriste aussi, la visite s'impose. À travers les réalisations du XVIIIe et du XIXe siècles, le Musée nous présente des créations magnifiques, indiennes colorées, cachemires chatoyants, véritables oeuvres d'art conjuguées en vêtements, linge de maison, tentures, etc. Deux étages, deux époques. Des outils plus rudimentaires, du jeu de planches sculptées dans le bois du poirier, d'abord tendre mais qui durcit en séchant, on assiste au passage à l'ère des machines. En même temps que les artistes, les chimistes acquièrent de nouvelles connaissances pour produire des couleurs toujours plus diversifiées, toujours plus riches. On apprend ainsi au Musée pourquoi un des quartiers de Mulhouse porte le nom étonnant de «Mer Rouge». Fascinant voyage dans un monde de tissus qui a forgé une ville et l'a fait prospérer. C'est même cette industrie qui a poussé Mulhouse à devenir française pour éviter des taxes et tarifs douaniers exorbitants qui menaçaient sa survie. Les industriels français de la laine et de la soie (ces derniers s'appelaient joliment les soyeux) avaient en effet réussi à contenir l'essor de l'industrie de la cotonnade imprimée sur le territoire et déclaré la guerre aux «étrangers» qui tentaient d'en introduire en France. Une action qui a évidemment augmenté d'autant l'attrait de ces pièces textiles si jolies et beaucoup moins coûteuses auprès de la clientèle française.

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Jusqu'en octobre, le Musée de l'impression sur étoffes présente une audacieuse exposition Noir et blanc où les réalisations de la mode côtoient les objets de décoration.

www.musee-impression.com

Le rêve fou des frères Schlumpf

Qu'un amoureux de chars ait l'impression d'avoir été catapulté au paradis, entre ces Mercedes-Benz, ces Panhard-Levassor, ces Maserati et Lotus, ce prototype Bugatti Veyron capable d'atteindre plus de 400 km/h en moins d'une minute puis l'arrêt complet en moins de 10 secondes, et surtout cette rutilante Bugatti Royale, coupé Napoléon, qui ressemble plus à un immense bijou qu'à une voiture, rien de surprenant. Mais que des visiteurs irrémédiablement tièdes à la chose automobile et mécanique en ressortent ébahis et enchantés, c'est le miracle accompli chaque jour à la Cité de l'Auto de Mulhouse, sans doute l'institution la plus prestigieuse de cette ville industrielle pourtant fort bien pourvue en musées techniques de toutes sortes.

Hans et surtout Fritz Schlumpf, l'âme de la collection, étaient d'abord et avant tout des industriels, propriétaires de filatures de laine. Mais la passion qui embrase Fritz, c'est l'auto. Pendant des années, il achète des bijoux ou des curiosités ici et là, des voitures toutes fabriquées en Europe et qui recèlent chacune une histoire fascinante. Il les stocke dans sa filature de Mulhouse.

Quand les travailleurs atteints par le déclin de l'industrie textile découvrent le «trésor», ils investissent la filature et l'occupent pendant deux ans, la rebaptisant «Musée des Travailleurs». La collection n'échappe au démantèlement et à la vente que grâce à son classement comme monument historique et à un partenariat public-privé qui l'acquiert.

La visite nous plonge, grâce à plus de 437 voitures et ces 97 marques, dans les aventures de l'automobile.

Des aïeules aux plus chères, aux plus étranges en passant évidemment par les plus rapides, on les retrouve ici, dans cette collection répartie en trois grands thèmes: l'aventure automobile, la course automobile et les chefs-d'oeuvre de l'industrie. On y voit de tout. Cette Panhard-Levassor équipée d'un marchepied destiné à ne pas dévoiler la cheville des femmes (ç'aurait été d'une indécence!) La Sage biplace 1906 avec trois carrosseries interchangeables (il suffit de six boulons pour faire la transition). Cette Mercedes Double Phaéton 1905 avec freinage à l'arrière actionné... par les passagers. C'était évidemment bien avant que Mercedes et Benz ne s'associent.

Préoccupé par les problèmes budgétaires, Bugatti a produit un minimodèle repris par Peugeot pour son célèbre Torpedo BB.

Question de mettre le visiteur dans le bain, on l'invite entre autres à monter dans une des aïeules pour une photo ou à exercer ses muscles en remontant la manivelle de la Renault Torpedo 1923. Un demi-tour devrait suffire, dit-on! Puis, en passant devant cette Rolls Royce Silver Ghost 1924, on rappelle qu'elle a appartenu à Charlie Chaplin.

Évidemment, un musée ne serait pas complet sans les bizarreries pondues par l'industrie, au premier chef «l'oeuf», cette minuscule et rigolote Arzens 1942 que, pour faire le poids, on a parquée juste à côté de sa grande soeur, l'Arzens cabriolet 1938 justement surnommée «La Baleine». Et que dire de la voiture solaire ou de la Panhard-Levassor 1948, dite «Le Chameau», qui consommait 3,5 litres aux 100 km. On en veut trois douzaines et au diable la montée des prix de l'essence!

Jusqu'au 10 octobre, la Cité de l'Auto présente une exposition spéciale, La moto et le cinéma. En vedette, entre autres, la Harley-Davidson Hydra Glide d'Easy Rider, la Yamaha YDS/3 de Batman, version 1966 ou la Dnepr MT11 d'Indiana Jones et la dernière croisade (1989).

Décidément, les visiteurs ne sauront plus où donner de la tête!

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www.collection-schlumpf.com

Repères

Jusqu'au début octobre, Air Transat propose une liaison Montréal-Bâle-Mulhouse tous les jeudis. Le retour a lieu les vendredis.

Si l'euro est en vigueur en France et en Allemagne, la Suisse a conservé son franc. Certains marchands acceptent les euros mais rien ne les y oblige.

La Swiss Pass vous donne accès non seulement aux transports en commun (train, car, bateau et même tram et bus de 38 villes) mais aussi à quelque 450 musées et à un rabais sur certaines excursions. Si vous séjournez à Bâle, les hôtels locaux vous remettront aussi un «mobility ticket» qui vous donne accès aux transports en commun et à la Fondation Beyeler.

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Les frais de ce voyage ont été payés par Air Transat, la Maison de la France et Tourisme suisse.