On ne peut comprendre la force du mont Ararat avant de l'avoir devant soi. En le côtoyant, l'agnostique en vient presque à croire que seule une main divine a pu poser sur terre ce sommet éternellement enneigé qui berce à chaque instant la vie arménienne.

Pour ajouter au mysticisme, le symbole suprême des Arméniens - où selon la Bible se serait échouée l'Arche de Noé - se trouve entièrement de l'autre côté de la frontière turque, fermée en raison des mauvaises relations entre les deux pays. Comme Dieu, les monts sont inaccessibles, mais toujours présents.

Au-delà de l'Ararat mythique, l'Arménie entière charme et surprend. La pauvreté de son économie, détruite par la dislocation de l'URSS, est inversement proportionnelle à la volonté de son peuple de bien paraître et de bien accueillir l'étranger. Ne vous étonnez pas d'être invité à prendre un café dans la maison d'un inconnu après deux minutes de conversation.

L'Arménie est une terre qui a bien mûri, comme un bon cognac, sa spécialité alcoolisée. Civilisation ancienne, c'est une terre d'histoire consommée où ont été semée des milliers d'églises (40 000, dit-on), maintes fois centenaires pour la plupart.

On parcourt facilement ce pays grand comme la Gaspésie en vieux «marchroutka», ces taxibus efficaces et fréquents, quoique peu agréables pour les coeurs fragiles. Plusieurs des plus beaux sites se trouvent à moins d'une heure de la capitale Erevan.

À Khor Virap (Sud), la religiosité de l'Ararat prend tout son sens dans ce paysage de carte postale. C'est à l'emplacement de ce monastère fortifié, perché sur une colline au pied des majestueuses montagnes, que le roi Trdat III aurait décidé d'adopter le catholicisme en l'an 318 de notre ère, faisant de l'Arménie le premier État officiellement chrétien.

Une visite s'impose également à Etchmiadzine, le «Vatican» de l'Église apostolique arménienne, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de la capitale. Les deux heures et demie que dure la messe du dimanche à la cathédrale passent tout en douceur dans les majestueuses voix incantatoires des choristes.

Pour les amoureux de quotidienneté étrangère, une promenade sur la courte rue principale d'Etchmiadzine et au marché central donne une impression inoubliable de l'Arménie hors capitale et de la chaleur de son peuple.

Ce sont ces images qui restent gravées dans notre mémoire en quittant le pays: les vendeuses de pâtisseries déambulant dans les rues à la recherche de clients, les petits commerces aux odeurs uniques, les sympathiques marchands de légumes qui tiennent absolument à être pris en photo, les chauffeurs de taxi qui discutent sans arrêt faute de passagers...

Les paysages du lac Sevan, au nord d'Erevan, complètent la découverte naturo-religieuse. Les deux chapelles millénaires qui trônent au sommet des collines de la péninsule offrent une vue imprenable sur le gigantesque lac à la couleur changeante, lieu de villégiature préféré des Arméniens.

Erevan

La capitale, l'élégante Erevan, pourrait facilement mériter le titre de «ville aux mille cafés» ou de «ville rose», puisque plusieurs de ses anciens et nouveaux édifices ont été construits en blocs de tuf, une pierre granuleuse le plus souvent de teinte rosée.

Erevan a une ambiance à l'image du peuple arménien, dont le deux tiers sont disséminés dans les diasporas aux quatre coins de la planète. C'est un intéressant mélange d'influences américaines, russes, européennes, moyen-orientales et caucasiennes.

En voyant tous les attraits du pays, on s'étonne de voir si peu de touristes partir à sa découverte. Il faut dire que le pouvoir soviétique a rendu la république pratiquement inaccessible durant tout le XXe siècle. La réputation de «poudrière» de la région du Caucase lui colle aussi à la peau et fait peur.

Pourtant, le danger le plus concret que le voyageur étranger peut ressentir dans l'Arménie d'aujourd'hui se trouve... sur les routes. À Erevan, le piéton comprend rapidement que le petit bonhomme vert allumé ne doit pas être interprété comme un droit de passage acquis, mais comme le moment le plus opportun pour essayer une traversée entre deux chauffards qui n'ont aucunement l'intention d'user leurs freins!