Glace à la «manne», au fenouil, chocolat et tabac, brie et vinaigre: le gelato italien réussit grâce à l'inventivité de certains de ses artisans à résister aux produits industriels dans un pays pionnier dans l'art de la crème glacée.

Alberto Pica (72 ans), glacier depuis deux générations à Rome, a créé il y a sept ans une glace à la manne, non pas celle tombée du ciel comme dans la Bible, mais une douceur au goût de caramel confectionnée à partir de la sève d'une variété de frêne poussant en Calabre et en Sicile. «Riche en vitamines et pauvre en calories», la glace à la manne ferait même grandir les enfants....

La consommation de glace artisanale représente 58 % du marché italien contre 42 % pour les produits industriels avec une consommation de 12 litres par an, voire de 18 litres pour les Romains, selon Alberto Pica, également président de l'Association des glaciers.

L'Italie compte quelque 34 500 glaciers «artisanaux» mais nombre d'entre eux «se contentent d'une glace de qualité moyenne pour les touristes, confectionnée à partir de sirop de fruit», regrette-t-il.

Alberto Pica a lancé ces dernières années une dizaine de parfums dont une «glace de l'amour», gourmandise à base de noix de macadamia que l'homme politique italien Giulio Andreotti (89 ans) «aime à mourir» et se fait livrer à domicile...

Incarnant une nouvelle génération, Maria Agnesa Spagnuolo (42 ans) crée la nuit les parfums vendus dans ses trois boutiques romaines à l'enseigne de Fatamorgana. «Je prépare tous les ingrédients moi-même, pas question d'acheter de la poudre ou des extraits. Je travaille sur la matière première. Je fais les infusions de lavande, de cardamome, de thé fumé. Je veux réhabiliter un savoir-faire», raconte la jeune femme aux yeux bleus lumineux, montée à Rome dans les Pouilles natales pour faire du théâtre.

En panne d'engagement, elle tombe sur une petite annonce de la mairie concernant des prêts accordés aux femmes qui veulent ouvrir un commerce. Ce sera le début de l'aventure pour celle qui a toujours «eu la glace pour passion, même toute petite,» avec l'ouverture d'une première boutique en 2003. «Deux saveurs se rencontrent et en créent une troisième. J'espère offrir un peu plus que de la glace, de l'amour....».

Un millier de clients se pressent chaque jour dans sa boutique pour goûter Baklava grec, Afrodite (céleri et citron vert), Kentucky (chocolat et tabac), fenouil, miel et réglisse inspiré du Kama sutra mais qu'elle n'a pas osé appeler ainsi «à cause des enfants», ou Wasabi (chocolat et raifort). «Je viens tous les jours, c'est mon repas de midi, rafraîchissant et nourrissant», confie une cliente, choisissant un mélange de crèmes glacées (2 à 3,50 euros), beaucoup moins caloriques que leur équivalent américain.

Maria Agnese considère Claudio Torcè (46 ans), qui tient boutique dans un quartier sud de Rome à l'enseigne d'Il gelato, comme son «maestro». Ce petit-fils de pâtissier - «j'ai du sucre dans mon ADN» - aligne 100 parfums dont 22 salés (mortadelle-pistache, basilic, omelette aux champignons, thon à la tomate, gorgonzola...), 15 sabayons (xérès, madère, gewurztraminer ...) sans oublier 20 chocolats, sa passion.

Ce «puriste» ne décolère pas contre des confrères qui se disent artisans et utilisent des produits industriels semi-transformés, «une majorité», selon lui. «Je fabrique trois glaces à l'heure contre une dizaine avec une pâte industrielle à laquelle il suffit d'ajouter du lait ou de l'eau. L'unique espoir c'est que les consommateurs lisent la liste des ingrédients et découvrent la présence de colorants, d'aromes et de stabilisants. Artisan ça n'est pas ouvrir une boîte, c'est travailler de ses mains», rage-t-il.