Bonjour! Vous allez bien? Je me suis tellement ennuyé de vous... Et vous? Vous voulez peut-être comprendre pourquoi je vous ai abandonnés en Mauritanie, au beau milieu d'une aventure palpitante?

Je m'en excuse.

J'étais fatigué. Je sentais que mon écriture tournait en rond. Je me trouvais usé et prévisible. Pourtant, le voyage en Mauritanie était réellement fascinant! Chez le couchsurfer M, c'était génial: j'ai bu, j'ai ri, je me suis fait des amis, j'ai mangé un oeil de mouton (je mange officiellement n'importe quoi) et j'ai dormi avec les chats sur le plancher du salon. Puis, avec un dénommé Mohamed, j'ai voyagé au centre du pays jusqu'à Rachid, cette fameuse oasis du désert des trafiquants d'armes. Et ensuite jusqu'à la vallée verte de Kifa, pour visiter un grand lac rempli de crocodiles. Finalement, j'ai passé quatre jours, seul, au parc national du Banc d'Arguin, où, un matin, j'ai vu s'envoler 100000 flamants roses, et au large d'où, sur une lanche (embarcation traditionnelle Imraguen) encerclée par les dauphins, j'ai pêché une barbotte de 11 kg. Mais, peu inspiré sur le clavier, je n'arrivais pas à traduire l'aventure en Monsieur Bruno. J'étais frustré et malheureux. C'était comme si l'élastique avait pété. Tilt! Alors, sur les bons conseils de mes deux Marie*, j'ai tiré la plogue.

Plutôt ne rien faire et bien le faire.

Sauf que, depuis six semaines, j'ai pris goût à cette disparition. J'ai vraiment savouré le silence et l'anonymat... Je me suis souvenu des raisons qui avaient motivé mon départ, le 24 mai 2004.

Et j'ai pris une grande décision.

Demain, je vous quitte. Ce n'est pas la peine de m'écrire: j'ai fermé mes deux boîtes de courriels. J'ai rangé l'ordinateur dans un placard en Asie. J'ai rasé mes cheveux en brosse, comme un soldat. Je me suis fait faire un nouveau passeport.

Et je suis parti en sandales, avec deux T-shirts, une paire de jeans et une barbichette qui me donne un air de vieux Chinois. Cette année, je vise le voyage idéal: à pied, avec une brosse à dents!

Et le vrai Départ. Avec un D majuscule.

Bye internet. Bye les journaux. Bye la télé. Ce sera «2011, le trou noir».

Je décroche.

Je lirai des livres usagés. J'écrirai des petits mots dans un grand cahier Moleskine, au crayon HB. Et dans un an, quand on m'annoncera que ben Laden n'a jamais existé, que le Canadien a gagné la Coupe Stanley, que le Proche-Orient brûle encore et que Michael Jackson n'est pas vraiment mort, ce sera peut-être comme si j'arrivais sur une nouvelle planète.

Joli trip, n'est-ce pas?

Et un jour, je reviendrai vous hanter avec mes histoires abracadabrantes. Mais j'ignore quand et sous quelle forme. Et je ne vous promets rien parce que je n'ai surtout pas envie de vous décevoir.

D'ici à nos éventuelles retrouvailles, j'espère que vous aurez l'occasion de lire La frousse autour du monde, tome 3, le plus amusant des trois livres, selon moi. Et de regarder la nouvelle saison de Partir autrement, sur TV5: une belle émission de voyage avec plusieurs destinations extraordinaires (ne ratez pas celle sur le pays Dogon) et avec 10 fois plus de folies que l'année passée. Rien que durant le dernier tournage, en Indonésie, j'ai volé comme Superman, j'ai surfé sur l'océan Indien, j'ai joué du maillet dans un orchestre de gamelan, j'ai fait du downhill avec un pro du vélo de montagne et je me suis fait mordre par un lion...

Tout à fond!

Et c'est ainsi que je me retire, sur la pointe des pieds, avec le doux sentiment du devoir accompli.

À la prochaine, les ami(e)s.

Et bon voyage.

* Marie-Christine Blais, qui reçoit et édite les textes de Bruno depuis plus de cinq ans, à La Presse, et Marie Rodrigue, l'agent de Bruno.

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