Ensorcelés       Au risque de me répéter, mon cher Roger, la lutte est très populaire au Sénégal. Sorte d'union entre le combat extrême et le sumo, la lutte avec frappe attire de larges foules au stade. À l'affiche type d'une soirée de lutte, cinq combats foudroyants qui dureront en moyenne 30 secondes chacun... Le mot d'ordre est de ne pas cligner des yeux pendant un match ! Et comme les affrontements sont brefs, les gens se déplacent autant pour les combats que pour les simagrées d'avant-match, où les adversaires se livrent à des rituels mystérieux, orchestrés par leurs fidèles marabouts... Tout un spectacle !

Pour les aider à gagner, leurs sorciers les aspergent de lait, leur mettent des pattes de poulet sur la tête et gribouillent des dessins dans le sable autour des lutteurs en gueulant des incantations au ciel.

«Tu y crois, toi, à ces niaiseries-là, Racine ?»

Racine regarde au-dessus de son épaule, inquiet.

«Chut ! Il ne faut pas faire de blague avec ça, Bruno. C'est de la vraie magie. Et c'est grandement efficace !

- Alors, pourquoi il y a toujours un lutteur qui perd, si c'est «grandement» efficace ?

- Que veux-tu dire, Bruno ?

- Après leurs rituels, les lutteurs devraient, en principe, tous les deux gagner le combat ! Elle est où, la magie, pour le perdant ?

- La magie, c'est que celui qui perd n'est peut-être pas celui qui aurait dû perdre. Tu comprends ?

- Euh...»

Karabane

La meilleure façon de se rendre dans l'île de Karabane, dans l'embouchure du fleuve Casamance, est de sauter dans la pirogue du facteur lorsqu'il part faire la distribution du courrier. Pour un transport pittoresque à souhait et très bon marché, c'est le lundi matin, à 11 h, au petit port de Ziguinchor.

Zombies

À Ziguinchor, le matin de mon départ pour Dakar, je suis tombé sur une bande d'étranges rastas, avec des mèches épaisses comme des poignets ; certains portaient de grandes robes et chantaient, l'air en transe, pendant que d'autres sautillaient autour d'eux et demandaient de l'argent aux passants, avec des paniers remplis de monnaie.

Le portier de l'hôtel m'a expliqué.

«Ce sont les Mourides. Ils ramassent de l'argent pour leur chef spirituel.

- Ils sont un peu bizarres, non ?

- Un peu, oui. Mais il y a une bonne raison.»

Il m'a alors raconté que, pendant le Magal, la réunion annuelle des Mourides, des marabouts écrivent en secret des «talismans», qu'ils jettent dans une grande marmite d'eau potable. Puis, après les cérémonies, quand les gens boivent l'eau, ils deviennent envoûtés pour la vie...

«Et ensuite, le chef peut les manipuler à sa guise ! Mais vous ne pourriez pas comprendre ça, l'envoûtement, vous, les Occidentaux...

- Ah ! Erreur, mon cher Ahmed. Chez nous aussi, il y a des envoûteurs ! Ce sont des êtres malins qui ont compris qu'il suffisait d'abrutir un individu assez longtemps avec un message insipide pour qu'il finisse par croire que, pour être heureux, il a absolument besoin d'un Clapper, d'un Juice-o-matic, d'un CD de duos et d'une rallonge sous-marine pour sa brosse de toilette électrique.

- C'est quoi, un Clapper ?»

Grosse chose

Le «Monument de la Renaissance africaine», grand projet artistique du président Wade, est maintenant terminé. Et il est bien visible de l'avion, lorsque l'on atterrit à l'aéroport Leopold Sédar Senghor. Spectaculaire ? Ouf ! À plus de 50 m de haut et plantée sur l'une des fameuses mamelles de la capitale, l'énorme statue brune serait franchement difficile à rater. L'année dernière, lors de mon passage à Dakar, j'avais émis des doutes sur la valeur esthétique de l'oeuvre à moitié achevée. Mais, aujourd'hui, c'est confirmé : le Monument de la Renaissance africaine, une coûteuse catastrophe, est voué à devenir l'une des constructions les plus laides de l'histoire de l'Humanité.

Entre les dents

Un conseil pour les voyageurs accros à la soie dentaire qui désirent passer du temps en Casamance: faites le plein. Parce que, dans l'éventualité de l'oubli de votre petite boîte de fil ciré dans le traversier (grrr !), vous n'en trouverez nulle part. Même le dentiste n'en avait pas ! *

Cela dit, la bouffe sénégalaise est délicieuse. À condition d'aimer le riz. Parce que, ici, y'a juste le riz qui n'est pas servi avec du riz.

Colon

Avant de partir à l'aéroport de Dakar, je veux m'acheter un paquet de gomme.

«Bonjour, madame, vous avez de la gomme ?

- Pardon ?

- De la gomme à mâcher.

- De la quoi ?»

Je regarde autour. Je n'en vois nulle part. Pris au dépourvu, je lui mime quelqu'un qui prend une palette de gomme, la place dans sa bouche et la mâche.

«Miam, miam, miam... Voyez ?»

Elle éclate de rire.

«Vous voulez dire du chewing-gum !»

Je suis confus. J'avais oublié qu'au Sénégal, on parlait le français.

*Pour le soin des dents, les habitants utilisent un bout de branche d'arbre appelé «sothiou», et ça doit fonctionner parce qu'ils ont des dents d'une blancheur éclatante ! De quoi être jaloux...

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

Après une bonne bouffe, c'est la sieste.