La ville de Medellín est tout simplement stupéfiante. Et s'il le fallait, j'emménagerais ici, dès demain matin. Oui, madame ! Et moi le premier, je suis abasourdi à la lecture de ces mots...

Par où je commence ?

Je sors de l'aéroport. On m'avait dit : «Attention aux chauffeurs de taxi de Medellín, ils peuvent te droguer et te tuer.» En arrivant à la porte de l'hôtel, le chauffeur de taxi voulait réduire de deux dollars le prix de la course.

«Pardon ?

- Désolé, monsieur, je me suis trompé de chemin.»

Et c'était de ma faute ! Dans mon espagnol de bébé, je lui avais donné de mauvaises indications... Mais l'honnête homme, il a insisté pour me rembourser.

Et c'est beau, Medellín. Les montagnes. La place Botéro. Le climat est bon. C'est la ville préférée des Colombiens. Il doit bien y avoir une raison.

Pas une seule fois, dans la rue, me suis-je fait menacer, déranger, bousculer ou même offrir de la drogue... À me demander si j'étais vraiment dans l'ex-capitale du cartel de la cocaïne !

À Medellín, je suis même tombé sur mes deux premiers touristes en Colombie. C'est rassurant. Des vrais de vrais en plus, avec le look officiel du «touriste confortable qui sèche rapidement» : chapeau de toile, souliers de trekking et pantalons de brousse qui se transforment en shorts trop courts quand on les dézippe... Vous connaissez ?

Moi, l'autre jour, pendant un tournage de l'émission Partir autrement, je me suis fait traiter de grand-père par une routarde du Québec, à cause de mes pantalons de brousse... «Abuelo», qu'elle m'a dit, la belle Rachel !

Et elle a raison. C'est moche. Mais c'est utile ! C'est laid, mais c'est léger ! Et ces grandes poches qui te permettent d'enfouir des tonnes de dépliants et de «mappes», et celles cachées qui te font sentir comme un contrebandier, et l'élastique à la taille qui donne un jeu instantané de deux kilos à ta bedaine, et le thrill de passer en mode short, en un tournemain, sans enlever tes souliers, dans une cabine téléphonique... C'est magique !

C'est pas mêlant, chaque fois que je dézippe les miens, je siffle le thème de Mission impossible.

Fin du dossier. Qui s'autodétruira dans 5, 4, 3, 2, 1... Pizouff.

La question du jour : doit-on faire l'effort de ne pas ressembler à un «touriste», dans un endroit à risque, comme Medellín ?

Moi, je le fais ici, l'effort. Je porte des jeans usés, une chemise anonyme, je me promène avec un journal local sous le bras et j'ai toujours l'air de savoir où je vais. Ma caméra est dans ma poche, et je transporte juste assez d'argent pour satisfaire un voleur sur le crack avec un pistolet de départ.

Et puis, qu'est-ce que j'ai encore, moi, à vous parler de sécurité ? ! Suis-je en train de devenir paranoïaque ? Remarquez, ce serait bien possible : depuis que je suis en Amérique latine, je n'arrête plus de recevoir des courriels de mise en garde !

«Vous avez encore oublié de dire aux lecteurs d'être prudents, M. Blanchet.»

Ben oui. Mais où étiez-vous donc, messieurs (tous des hommes), lorsque j'ai traversé le Moyen-Orient, le Yémen, le Soudan ? Et pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus que je pouvais me faire péter la gueule par un nabot à Bangkok ? Que je pouvais choper des amibes au Kenya ? Pourquoi ne m'avez-vous jamais entretenu des dangers du capitalisme à la maison, de la dépression nerveuse, des pédales de Toyota et des «hookworms» des îles Fidji, ces bestioles qui te rentrent dans le talon et pondent des oeufs dans ton pied, et un matin, tu te réveilles parce que ton gros orteil vient d'exploser et qu'il en sort plein de petits vers blancs qui essayent de manger tes autres doigts de pied ?

Brrrr...

Réglons une chose immédiatement : je vais mourir. Un jour, kapout. D'une surdose de médicaments à la mode, bouffé par des cannibales papous ou en traversant la rue Saint-Hubert distraitement. Peu importe. Je pourrais même déjà être mort, au moment où vous lisez ces lignes, dans un étrange accident d'ascenseur...

«Bon. Qu'est-ce t'as fait encore, Bruno ?

- Rien, Dieu, je te jure ! J'ai juste mis ma tête dans le trou de la porte, pour rire...

- Maudit sans dessein.

- Scuse-moi, Dieu, je recommencerai pas... Hey, c'est grand icitte, hein ?

- Farme-la. Va faire des push-ups dans le coin.

- Combien ?

- Cinq millions.»

Mais c'est pas grave. Et en attendant le grand moment, je vis. À fond. Même si ça dérange. Et je le répète une ultime fois, pour ceux qui pensent que je ne le dis pas assez souvent : ne vous fiez pas uniquement à mes chroniques pour organiser un voyage. Il y manque des informations importantes. Iriez-vous explorer l'Afrique avec des renseignements recueillis dans Tintin au Congo ?

Non.

Alors... comment on s'habille en voyage ?

Je ne sais pas. Vous êtes libres, mes amis ! Et vous faites comme vous voulez.

Moi, je fais mes push-ups.

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

La ville de Medellín