Premier jour : je suis grand

Je me suis réveillé ce matin, comme d'habitude, j'ai pris le petit-déjeuner, je suis sorti dans la rue. Puis, j'ai regardé autour et j'étais grand. De deux choses l'une : ou bien j'ai grandi de manière démesurée et inexplicable durant la nuit, ou bien les Colombiens sont drôlement petits.En tout cas. Fort de ma nouvelle stature de défenseur (j'ai toujours été ailier droit), j'ai couru au musée Botero. C'était une promesse que je m'étais faite en achetant mon ticket pour Bogotá :

«Dret' en arrivant, mon Bruno, c'est la visite du musée Botero !»

Parce que je suis un fan.

Quel plaisir de commencer une journée au milieu des figures joufflues du maître ! Et de pouvoir caresser ses immenses bronzes. On peut toucher ! Et de reluquer le visage ébahi des visiteurs, devant ses nus de trois mètres, avec des fesses comme des montgolfières...

Mais, à mon heureuse surprise, il n'y avait pas que du Botero au musée Botero. Dans une salle d'oeuvres offertes par le peintre, sur un mur beige, côte à côte, étaient accrochés un Tàpies et un Bacon. Wow! J'ai retenu mon souffle. Devant eux, Nature morte évangélique de Giorgio de Chirico. Et une femme écarlate signée Soutine. Et un délire de Max Ernst...

Aaaah, de l'art ! Je me suis tellement ennuyé

J'ai essuyé une larme.

J'ai un beau métier, je le reconnais ; parcourir le monde, c'est tripant. Mais les musées d'art moderne, et l'art contemporain en général, me manquent cruellement. J'ai toujours trouvé mon plein d'inspiration chez les surréalistes, chez les expressionnistes abstraits, chez les dadaïstes, chez les weirdos indescriptibles... Saviez-vous que j'ai déjà été guide de musée ? Au CIAC, le Centre international d'art contemporain, avenue du Parc. Une des plus belles jobs de ma vie ! Passer mes journées entre les oeuvres de Jocelyne Alloucherie et de Jean-Pierre Raynaud avait vraiment de quoi me rendre fou... D'où pensez-vous qu'il sort, le «petit monsieur pas de cou»!

Salut Claude Gosselin, me lis-tu?

Claude, c'Ă©tait mon patron. Un chic type. Salut la gang, itou.

Deuxième jour : le dépanneur du coin est tenu par un Chinois que tout le monde appelle le Chinois

Et moi, personne ne me dit rien. Quand on m'adresse la parole, c'est en espagnol, comme si j'Ă©tais un voisin. Si je n'Ă©tais pas aussi grand, je suis certain que je pourrais facilement passer pour un Colombien.

C'est une bonne sensation.

Troisième jour : ménage de mon sac à dos

Factures. Révision du carnet de notes. Deux petites choses que j'ai oubliées de vous mentionner à propos de Montserrat :

1- Chez Sir Georges Martin, une dame a appris que Magalie et moi venions du Québec. Elle est venue à notre rencontre.

«Bonjour, mon nom est Carol Osborne, j'étais la propriétaire du View Point Hotel.»

Le View Point Hotel, à Plymouth, avant d'être enterré sous les cendres, était l'endroit le plus chic de l'île, l'adresse où débarquaient souvent les superstars de passage à Montserrat. Je m'attendais alors à ce qu'elle nous raconte que le batteur de ACDC avait lancé un téléviseur par la fenêtre, que Eddie Van Halen dormait avec un toutou ou que Stevie Wonder avait déboulé les marches complètement soûl.

«Je suis une amie de Gilles Vigneault.

- Gilles ? Notre Gilles national ?

- Il avait une maison ici. Il venait chaque année avec toute la famille. C'est un monsieur très gentil.

- Ah ben...»

2- J'ai passé la semaine là-bas dans une grande maison avec un beau couple de musiciens rock de Los Angeles et un sympathique juif orthodoxe vendeur de meubles importés à Montréal. J'aurais tellement aimé les inclure dans le récit, mais ça faisait trop de monde à messe ! Le band s'appelle Candy For Breakfast, ils ont une page web, et le magasin est situé boulevard Saint-Laurent, près de Mont-Royal. Dites-leur bonjour de ma part.

Quatrième jour : j'adore les Colombiens

Ils sont fiers. Tout le monde ici vous regarde droit dans les yeux. Le visage fermé. Dur. C'est un peu troublant au début, mais on s'y habitue. On soutient le regard. Jusqu'au sourire... Et il n'y a pas de quêteux ici. Que des revendeurs. De tout. De ficelles. De miroirs. De DVD. De clés à mollette. Nommez un truc, n'importe lequel, vous le trouverez dans la rue. Même les «croûtes», ces charmants punks que l'on aime détester, font de l'artisanat, avec les bouts de plastique et de métal qu'ils trouvent dans les poubelles.

Et franchement, je ne ressens pas l'insécurité prévue. Sauf à l'hôtel : il y a deux serrures et une chaîne sur ma porte de chambre, une grille électrifiée à l'entrée qui ferme sitôt le soleil couché et une affiche dans le lobby avec la description de l'uniforme d'un VRAI policier.

«Au cas où vous auriez maille à partir avec un faux policier. Avec une fausse plaque. Et un faux uniforme.

- Est-ce qu'ils mangent des faux beignes ?»

Je me couche. Je ne suis pas inquiet.

Il y a aussi un drapeau blanc, sur le toit de l'hĂ´tel.

Jusqu'au 27 avril, Bruno Blanchet sera coupé du monde en vue d'un long reportage. À sa demande, auriez-vous la gentillesse, amis lecteurs, de ne pas lui envoyer de courriels jusqu'à cette date, histoire que sa boîte de messages n'explose pas ? Merci.