Dans un récent article sur Cyberpresse, Trinité-et-Tobago figurait dans la liste des pays les plus violents des Caraïbes. Je me demande même s'il n'était pas le plus dangereux de tous... Enfin, comme c'était sur ma route, je me suis dit qu'un court séjour là-bas pouvait constituer un bon exercice de «frousse», avant d'atterrir en Colombie. J'ai donc prévu une escale de quatre jours à Port of Spain, la capitale du crime. Et j'ai eu un coup de foudre.

***«Est-ce que la nuit, j'aurai peur ?»

Paul, le chauffeur de taxi, me regardait d'un air moqueur.

«Tu vas être déçu... C'est pas le Far West ! Descends la vitre, on crève.»

Je m'étais barricadé dans la voiture en partant de l'aéroport, comme on le fait à Johannesburg ou à Nairobi.

«C'est ici.»

Dans le quartier de Newtown, à 10 minutes à pied du centre-ville, agréable surprise : les rues étroites sont fleuries, les trottoirs sont propres et les maisonnettes colorées, ravissantes.

Paul me fait un clin d'oeil.

«Tu vois ?»

Le premier soir, je l'ai tout de même exploré sur la pointe des pieds, le joli quartier ; avec les poches vides, sauf pour une photocopie de passeport, et en tendant l'oreille à chaque zone d'ombre. Aujourd'hui, soit le surlendemain, j'y marche sans faire attention, même après la tombée de la nuit.

Et je m'y sens comme à la maison.

Il est 21 h. Après les nouvelles, j'irai me chercher une pizza au resto italien du coin, puis je ferai un «pit stop» au bar reggae, où je flirterai avec la barmaid - oui, celle qui porte un décolleté jusqu'au Chili -, et je perdrai encore sans doute au billard contre le vieux Vietnamien qui s'endort chaque soir sur le comptoir. À mon retour, j'offrirai une pointe de pizza à Sonia, la réceptionniste de l'hôtel, une souriante Indienne sans le sari ni le bindi. Elle me dira «merci», en français, qu'elle a appris d'un voisin martiniquais.

Curieux, à mon arrivée, je lui avais posé la question :

«De quelle région de l'Inde viens-tu ?»

Elle avait fait la grimace.

«Je ne sais pas !

- Tu ne sais pas ?

- Non, je suis née ici. Troisième génération... Et catholique !»

Sa meilleure amie, qui vient chaque soir lui tenir compagnie, a l'air de débarquer tout droit du Congo. La peau noire comme le poêle, les lèvres épaisses, le nez éclaté... Et les yeux verts.

Elles font un duo ma-gni-fi-que. Mais peut-être qu'elles s'entretuent dans un autre quartier...

Tout ça pour dire ?

En débarquant à Port of Spain, juste avec un peu d'effort et de courage, vous pourrez vous aussi être conquis par le pétillant bonheur qui se dégage du mélange de couleurs et de cultures. Et par le rythme ! Suave, chaud... Ça bouge ici ! Et absolument tout est exécuté en balançant le fessier, avec fierté.

«You hou ! Regardez-moi ! Je me déhanche dans l'allée des conserves ! Je me penche ! Je hèle un taxi !»

Parce qu'il y a à Trinité une attitude décoincée, une désinvolture tranquille et un langage du corps drôlement sexy, sans être grossier. Moi, ça me plaît. Comme un arrière-goût d'Afrique.

Sauf que rien n'est parfait.

Le mardi soir, j'étais assis tranquille, sur la terrasse de l'auberge, seul. Je lisais le journal local, à la recherche de «violence, insolite ou spectaculaire», bref, à la recherche d'un sujet de chronique ! Parce que je n'avais vraiment pas grand-chose à vous raconter, moi, avec mon petit quotidien ordinaire... Quand un son énorme a jailli, comme un geyser, indescriptible, du parc de stationnement derrière.

BLILIILLLIILIOUuuuuuOULLLOU !

Une masse de bruit formidable, organique, impossible à interpréter.

BLILIILLLIILIOU !

Est-ce l'arrivée d'une soucoupe volante ? Est-ce une sonnerie de téléphone géant ? Est-ce de la musique ? Est-ce un... sujet de chronique ???

Je suis sorti à toute vitesse, comme un papillon de nuit qui se précipite sur une ampoule électrique.

Vision d'horreur.

Dans le parking, 50 joueurs de «steel drums» en rang se réchauffaient avant la répétition, en tapochant comme des troublés sur leurs instruments. Chacun sur un air différent.

BLILILILOULIBLILLOULLIBLILILOUBLILOULOULOU...

C'était hallucinant. Chaotique. Étourdissant. Mais, en même temps, d'une certaine façon, la cacophonie avant un grand C était aérienne et... inspirante. En fermant les yeux et en se laissant envahir par le son, on pouvait quasiment se croire à une bataille de harpistes célestes.

À un derby de démolition d'anges. Lorsqu'ils se sont mis à jouer Yellow Bird, j'ai retrouvé mes esprits, et mon aversion pour cet instrument du diable. Mais pendant un bref instant, j'étais tombé sous le charme.

Trinité, «home of the steel drum», possède ce pouvoir d'émerveillement.

C'est fort.

Mais ce n'est pas un sujet de chronique.

Dommage.

Partons pour Bogota.