Sur le traversier, entre Marie-Galante et la Dominique, le vent fouette le visage, la houle vire l'estomac à l'envers.

«C'est la première fois que je prends le bateau, sur la mer !»

La mignonne Natasha de Bordeaux est excitée. Avec son petit nez et ses lunettes rondes, elle ressemble à une souris. Mais c'est son amie, qui vit ici, qui est verte.

Puis, la Dominique apparaît au coucher du soleil. Derrière nous, les nuages sont rouges ; au-dessus de l'île, s'étend un arc-en-ciel ; et perchée là-haut dans le ciel, la pleine lune nous surveille...

Wow. Est-ce ainsi qu'on dit bienvenue, en Dominiquais ?

À l'hôtel de maman Baas, au centre-ville de Roseau, on pénètre par la petite porte, sur le côté. Il faut sonner, et enlever ses souliers. Chez Ma Baas, c'est comme si l'on entrait dans sa maison !

Je suis poli :

«Qu'est-ce que vous cuisinez, Ma Baas, ça sent la soupe, ça sent bon !»

Elle rigole :

«Je ne cuisine pas, monsieur : je prépare mon bain de pieds.»

Sa belle-fille fait le ménage. C'est une monumentale femme noire de 2 m qui pèse au moins 100 kg. Elle a les cheveux orange et les yeux d'un bleu incroyable... Quand on la regarde, on pourrait se croire dans Star Trek, ou sur une autre planète.

Je suis poli :

«Vous avez des yeux magnifiques ! C'est du côté de votre père ou du côté votre mère ?»

Elle rigole :

«C'est de l'autre côté de la rue. Chez le Chinois. Quinze dollars la paire.»

Découverte insolite : beaucoup de Chinois vivent en Dominique... Ah oui ? Mais, il n'y a rien, à la Dominique !

Rien que du soleil, des bananes et des rastas.

Alors, les Chinois, c'est quoi, l'astuce... Minerais secrets enfouis, trafic de « dreadlocks » ou de bébelles en plastique ?

C'est louche.

«Pourquoi sont-ils ici, les Chinois, Roméo ?

- Ha ! Je ne sais pas, mais faut pas s'inquiéter, Bruno... Parce qu'aux Antilles, les Chinois sont faciles à repérer : ce sont ceux qui portent des bas dans leurs sandales Crocs. »

Avant de quitter la Guadeloupe, un ami policier français m'avait mis en garde : « La Dominique est un grand exportateur de marijuana, fais gaffe si tu te promènes dans la jungle...».

Et dans la rue ? Il a souri : «Ils sont trop cools...»

«Wassup !»

Le gars qui m'interpelle a une coiffure rasta tellement épaisse que ses cheveux pourraient servir à remplir une douillette et deux oreillers. Ou à dissimuler une grande quantité de stupéfiants. Ou à cacher un Chinois. Wassup, ou «What is up», est le bonjour qu'utilisent généralement les rastas du coin.

«You want some natural, homie ? Some good shit !

- De la bonne merde ? Non, merci !»

Et le mec a poursuivi son chemin, pieds nus, comme si je n'avais jamais existé.

Au coin, devant, sur de la musique de Vybz Kartel qui jouait à tue-tête au magasin de vêtements féminins, un rasta seul dansait, tout habillé en jaune-rouge-vert, avec une petite bière Kubuli à la main.

Trop cool.

Dans un article sur la Dominique paru sur Cyberpresse en décembre 2009, si je me souviens bien, l'auteur disait de la « nonchalance » dominicaine qu'elle était une « qualité ». J'admets, cher collègue, qu'il y a certains endroits sur la Terre où la nonchalance est quasiment une vertu, un exotisme qui nous rappelle combien nous sommes stressés, et souvent pour rien.

Mais ici, mon vieux, ils ne sont pas nonchalants : ils sont trop cools.

La Dominique, c'est le seul endroit du monde où, au PFK, tu peux attendre 25 minutes pour ta commande, sur l'air de Bob Marley. Et finalement te faire dire :

«Y'a plus de salade de chou... Le cuisinier l'a fumée.»

Roseau, quel beau nom pour une capitale très... Dr Jekyll et Mr Hyde !

Avant l'arrivée d'un navire de croisière, la vie y est paisible, ordinaire. Personne ne fait attention à vous. Plusieurs vous saluent. C'est agréable.

Mais lorsque se pointe le bâtiment, c'est le branle-bas de combat !

Ils déplient les kiosques, déploient les drapeaux, détachent les bateaux ; et surgissent alors les chauffeurs de taxis achalants, les guides agaçants, les quêteux pétés... Et les joueurs de steel drums. Vous savez, ces gros barils qui sonnent comme des xylophones ?

Pling, plang, pling, plong, pling pling... Au secours !

Ne vous ai-je pas décrit, récemment, mon amour pour la flûte de pan ? Alors, reprenez le texte, et changez les mots «flûte de pan» pour «steel drums». Et à la fin, ajoutez : «... mais l'avantage du steel drum sur la flûte de pan, c'est que le steel drum, lorsqu'il n'est pas utilisé, peut aussi servir de poubelle ou de toilettes.»

Enfin, le soir, le navire de croisière de luxe part. On respire. Tous les passagers sont au balcon. Les cabines sont illuminées. L'image pourrait être magique. Mais d'ici, on dirait des cellules de prison.

Photo: Bruno BLanchet, collaboration spéciale

Femme guadeloupéenne à la fenêtre