Dans le fameux outback australien, durant la journée, tout le monde se salue.«G'day, mate !»

Ce à quoi vous devez répliquer : «G'day, mate !»Même au volant, les conducteurs, en se croisant, s'envoient la main, ou se donnent un petit coup de klaxon. Je n'ai pas encore vu un seul doigt d'honneur ! En fait, je n'ai pas encore vu de circulation.

Sympathique ? Oui, étonnamment. Mais la nuit, c'est une autre histoire...

19 h. Dans le camion, nous commençons à stresser. Le Gros Pierre, au volant, a réduit la vitesse de moitié, car le soleil est presque couché et il faut faire gaffe : les kangourous, ces bêtes imprévisibles, sont planqués dans les fossés, prêts à bondir ! Dès la tombée du jour, ils envahiront la route et se jetteront sur nous, tels des kamikazes confus, pour une raison encore indéterminée dans le grand livre de la nature et de la vie.

Chaque soir, en Australie, c'est l'hécatombe...

19 h 30. Nos phares sont allumés. La tension dans l'habitacle est à couper au couteau suisse. À chaque instant, nous nous attendons à ce qu'un marsupial de 40 kilos sorte des ténèbres et nous fonce dans le pare-brise comme un papillon de nuit.

Allo, la crise cardiaque. Bye-bye, le déductible.

Pendant ce temps, au 88 FM, Radio Tourisme, nos deux sympathiques animateurs sont excités, à quelque 20 km du village de DENHAM...

«À Denham, c'est FORMIDABLE, John !

- Oui, CANDY ! Parce que la bière est À PRIX RÉDUIT au drive-in liquor store ! Et vous pouvez profiter des BAS PRIX sans descendre de VOTRE voiture ! ! !

- Commande à l'AU-TO !

- C'est INCROYABLE ! Je me CA-RES-SE, Candy !

- Oh, JOHN ! Méchant garçon !»

(Bruit de claque.)

D'accord, j'en mets un peu, mais c'est vous dire combien ils prennent leur boisson au sérieux, ici, en Australie. Jusqu'à hier, le drive-in liquor store, ou «magasin de bières et spiritueux avec commande à l'aut », moi, je ne connaissais pas... Vraiment, un service baroque ! Tu te gares sous une espèce de toiture, le commis sort en courant de sa «shop» et te demande ce que tu veux boire ; puis il te l'apporte, tu payes et tu repars. Sans avoir à éteindre ton moteur !

Non mais, ils sont malins ou quoi, ces Australiens ?

20 h. Boris s'exclame.

«Stop ! Je pense que j'ai vu une affiche !

- Moi aussi !»

Pierre freine d'un coup sec. Devant une maison-caravane, des enfants jouent au ballon. Un homme sort d'une cabane. Il tient son pantalon d'une main et, de l'autre, il pointe en direction de notre camionnette. Tous les enfants se retournent. Et ils nous fixent intensément.

L'homme vient cogner à la vitre. Il gueule quelque chose comme :

«What'whan'ripper IN THE NIGHT ! ! !»

Le ballon rebondit devant la camionnette, au ralenti.

Les enfants sont blonds. Avec les yeux bleus. Tous.

Ma foi, mais c'est... Le village des damnés ?

Non. C'est un «caravan park», un camping pour véhicules récréatifs.

Le hic, c'est que des gens y habitent en permanence. Et ils sont weird. Coupes de cheveux Longueuil, tatouages ratés, clôtures en bouchons de bière...

Mais on s'habitue.

Parce qu'un «caravan park» c'est, finalement, un peu comme un cinéparc. On paye à l'entrée, on se gare entre deux voitures, on sort ses chaises pliantes, puis on s'installe avec sa petite bière et son sac de chips au koala. Sauf qu'au lieu de regarder un film, on observe ses voisins.

Et on potine.

«Drôle de couleur, hein ?

- Brun ?

- Ouain... Brun, mais pas brun.

- Beige foncé ?

- Ça doit être une famille d'Indiens.

- Ah... On devrait peut-être rentrer le chien ?

- Non, Candy, ça, c'est pour les Viet-na-miens.

- Ah ! Ces deux-là, je les mélange toujours !»

***

Puis, le dernier matin, avant de rebrousser chemin et de rentrer à Perth, où je dois sauter dans l'avion qui me mènera de l'Australie au Pérou pour la suite de La frousse, nous partons tous les trois, mon fils Boris, Big Pete et moi, marcher sur la plage. Au revoir, l'océan.

J'ai les yeux dans l'eau. C'est le moment de parler à Boris. Comment lui dis-je ? «Je suis fier de toi, mon garçon. Je vais m'ennuyer. Mais je sais que tu es capable de...»

Et là, j'éclate en sanglots ? Non. Mauvais plan. Et puis, est-ce que j'ai vraiment besoin de le lui dire ? Big Pete lâche un cri.

«Whale !»

Une baleine à bosse, à l'horizon, saute, claque sa queue sur la surface de l'eau, et fait aller ses nageoires, comme si elle nous saluait. Fantastique !

Ça me rappelle une vieille aventure, aux îles Fidji, il y a cinq ans... Une baleine et son petit. Vous vous souvenez ? Elle m'avait fait rêver qu'un jour, moi aussi, j'explorerais le monde avec mon fils. Peut-être est-ce la même baleine ? Ah !

Je sais que c'est impossible.

Mais aujourd'hui, je fais comme si c'était vrai.

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

Père et fils sur une plage en Australie.