Bangkok, mercredi.

Le voyage en Australie ne sera pas très long, et l'important, afin de bien le réussir, est de l'organiser avec soin. Or, je suis brouillon de nature, et plutôt nul dans l'élaboration d'un itinéraire plaisant avec horaire serré (mais excellent dans « le ravage des plans »). J'ai donc pensé faire appel à un ami voyageur, expert en la matière et qui, par hasard, se trouvait dans le pays voisin, la Malaisie. Et ce, même si je savais qu'avec lui, je m'engageais dans une voie potentiellement périlleuse : la dernière fois que je l'ai croisé, il m'a éclaté le pif pour me faire rire... Ah ! Mais je n'ai jamais regretté nos péripéties déraisonnables, nos virées et nos nuits sur la corde à linge, et j'en garderai pour toujours les plus belles cicatrices. Et puis, dites-moi, franchement, à quoi sert la camaraderie, si on ne peut même plus se fracturer le nez entre amis ?«Hello, fat ass !

- Hello, Bruno, you ugly old f@#k, nice to hear from you !

- Es-tu occupé la semaine prochaine ?

- Pas vraiment. J'ai rendez-vous Ă  Bali dans trois semaines.

- Parfait. J'ai besoin de toi.»

Et c'est ainsi que j'ai atterri Ă  Kuala Lumpur, avec deux billets en poche pour Perth, en Australie. Un pour moi et un pour Big Pete.

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Kuala Lumpur, samedi.

C'est toujours agréable de se retrouver à l'ombre des tours Petronas. Je ne suis pas un fan de gratte-ciel, mais même après trois visites dans la capitale malaisienne, les Petronas me font toujours de l'effet. Surtout vus du monorail, aux environs de 17 h 30, lorsque la chaleur devient moins suffocante et que le soleil couchant fait virer la pointe des tours jumelles à l'orange et que les reflets vous aveuglent et que le train glisse en silence entre les immeubles, direction quartier chinois, où vous avez rendez-vous avec le Gros Pete pour célébrer vos retrouvailles.

Moment presque magique, 8,5/10.

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Perth, Australie. Dimanche. Brasserie le Shed.

Pete et Bruno boivent un pot. Ils attendent Boris. Sans y être invitées, deux jeunes inconnues s'assoient à leur table.«Hi, ya mate. I am Sandra, she's Vicky !»

Elles sont habillées comme si elles revenaient d'un baptême de clown, avec des robes strapless à paillettes et des souliers blancs. Pour aller à la brasserie ? Ça paraît normal, ici. Le look « j'ai l'air d'une matante des années 90 » semble à la mode à Perth, où abondent les leggings à bourrelets, les robes trop longues à fleurs trop laides, et les coupes de cheveux de catalogues de meubles.

Prédiction de Nostra¬damoune : le mauve va arriver ici dans 10 ans.

Pour les hommes, la mode est simple : c'est la totale absence de style qui prime. L'air de rien. Sinon, c'est le look outback officiel, avec «shorts trop courts et bottines de construction» : un look, messieurs, que SEULS les gais sont capables de transcender !

Et vous les verriez danser... Yikes ! Comme des momies avec les pieds coulés dans le ciment ou comme des épileptiques en patins à roulettes dans une tempête de neige. C'est tout ou rien. L'essentiel étant, bien entendu, de ne jamais tenir le rythme.

Rarement ai-je rencontré un peuple avec aussi peu de sex-appeal... À part, peut-être, les Papous. Je vous jure, s'il y a un problème démographique ici, je peux vite vous en donner la raison.

Enfin. De quoi je me mĂŞle, vieux con !

Bref, les deux jeunes femmes, Sandra et Vicky, elles sont complètement paquetées. Ça aussi, c'est à la mode ici, à quatre heures de l'après-midi.

Une des demoiselles, Vicky ou Sandra, sort un appareil photo, et veut absolument nous montrer quelque chose de «tordant» : c'est une photo, prise il y 10 minutes, de son amie en train de vomir à quatre pattes dans la ruelle...

«Look ! It's too funny, ses mains sont dedans le vomi !»

Je suis ravi. Je me tourne vers Pete.

«Non mais, c'est vraiment génial, l'ère du numérique...»

Pete n'est pas d'accord.

«Il y a des valeurs qui se perdent, mon vieux... Dans mon temps, pour avoir du plaisir, il fallait vomir sur quelqu'un.»

Je consulte la montre du Gros. Boris se fait attendre ! Il nous a donné rendez-vous au Shed, et il aurait dû être arrivé il y a...

«BORIS ! ! !»

C'est Sandra, ou Vicky, je ne sais plus laquelle, qui a crié, en voyant Boris. Elle lui saute au cou.

«Boris, je me suis ennuyée de toi !»

Boris l'embrasse sur la joue et puis nous aperçoit. Il rougit. Pourquoi ? Je ne sais pas. Il porte une barbe hideuse, il s'est fait tailler les cheveux en mohawk de David Beckham d'il y a huit ans, et il aura beaucoup d'explications à donner, le petit punk, avec son t-shirt aux couleurs de «Man Utd.». Il pointe dans ma direction.

«Sandra, lui, c'est mon père.»

Sandra se tape sur les cuisses.

«Ton père ! Wow ! J'aurais pensé que c'était plus comme ton frère !»

Tout de suite, en arrivant en Australie, on est frappé par le côté extrêmement sympathique et accueillant des habitants.

J'adore !

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

La ville de Perth, aux environs de 17 h 30...