Dans les guides de voyage, Moyale est synonyme de Far West: ville frontalière, à cheval entre le Kenya et l'Éthiopie, elle est un refuge de paumés et de perdus, et l'endroit idéal pour se faire arnaquer.

Du côté éthiopien, elle s'étend sur un long boulevard de poussière sur lequel ont pignon sur rue plus de bars que de restaurants, et où errent autant de prostituées que de clients.

Les autres, tous âges confondus, vous poursuivent dans la rue pour vous demander votre argent, votre casquette, vos béquilles (pauvre Boris!) ou votre pantalon.

 «Mon pantalon?!?

- Oui.

- Ha ha ha!»

J'étais éberlué... Alors, sous le choc et mis au défi, j'ai dégrafé mon ceinturon. Puis j'ai descendu ma fermeture éclair d'un geste gaillard. Zip!

«Voulez-vous aussi mes sous-vêtements, mesdames?

- Hiiiiii!»

Les deux grands-mères indignées ont hurlé et elles se sont sauvées en courant. Heureusement, parce que c'était pas mal la dernière carte dans mon jeu.

Du côté kényan, où il pousse peut-être des patates et assurément de la roche et du sable, des camions font la file pour entasser les passagers dans la boîte, comme du bétail, en direction d'«ailleurs».

N'importe où, monsieur le conducteur de poids lourd, mais pas ici!

Les voyageurs s'accrochent du mieux qu'ils le peuvent à la structure du camion, comme des désespérés à un espoir de vie meilleure, au risque d'être éjectés du véhicule au premier coup de freins brusque... Dans la mesure où freins il y a!

C'est d'un tragique spectaculaire.

Entoucas. Si vous hésitez toujours entre Moyale et Disneyland pour les prochaines vacances d'été des enfants, vous pourrez dire que vous aurez lu, ici, un conseil éclairé : allez à Disneyland.

Mais - et c'est là que le bât blesse -, c'est un passage obligé lorsque vous voyagez avec votre fils qui a un besoin urgent de passer aux rayons X: la route est encore longue jusqu'à Nairobi, où il y a des hôpitaux modernes, et l'état du pied de Boris ne s'améliore guère.

Et je ne veux pas jouer ici à l'oiseau de mauvais augure, mais je suis persuadé que Boris s'est fracturé le pied ; je m'y connais peu en blessures, mais j'en sais juste assez pour savoir que celle-ci met trop de temps à guérir... Et l'expérience, les amis, ça vaut son lot de diplômes!

Je m'étais foulé une cheville, naguère, lors de ma saison de hockey bantam AA. Et j'ai souvenir du fulgurant diagnostic de l'instructeur, Big Norm, qui savait très bien lire les ecchymoses, en plus des stratégies de l'équipe adverse. Et «seulement qu'en pesant dessus».

«Ça, ça fait-tu mal?

- Non, Big Norm.

- Ça?

- Un p'tit peu...

- Ça?

- Aouuucchh!

- Foulure! T'en auras au moins pour deux semaines dans le rancart, mon Big Bern.

- Hein! Mais... C'est q-q-quoi, le rancart, Big Norm?»

J'étais inquiet. Je pensais que c'était comme un garage, mais plus petit.

«Le rancart? Ha ha ha! Mais c'est pas comme quelque chose, mon Big Bern! C'est juste qu'on dit ça, les grands, quand on te met «à l'écart du rang»... Tu comprends? À l'écart. Du rang. Ran-cart. Rancart!

- Fiou!»

Je blague un peu, mais Big Norm (tu salueras Diane) était un sapré bon bonhomme. Et vous aurez compris que Big Bern, c'était moi. Je n'étais pas gros, ni Bern, mais c'était mon surnom. Je n'ai jamais su d'où ni comment c'était venu. Un matin, un jeudi, peut-être, ou était-ce un mardi, je ne sais plus, c'était apparu dans ma vie, sans explication. Comme une chenille se transforme en papillon. Allez hop, surnom! Et c'est disparu de la même façon.

Aujourd'hui, plus personne ne m'appelle comme ça... Enfin, mis à part Labine, Chuck les gosses, Big Bob, Lombric et Allard Gros Lard.

Et Big Norm.

Dont le diagnostic s'était avéré juste.

Comme le mien.

Photo: Bruno Blanchet

Véhicule public au Kenya.