À première vue, ce n'est pas forcément le coup de foudre. Ravagé par l'architecture brutaliste et la folie des grandeurs du dictateur Ceausescu, Bucarest ressemble par endroits à une immense cicatrice en plein air. Mais au deuxième regard, la capitale roumaine se révèle d'une extraordinaire richesse. Au-delà des grands boulevards et des immeubles gris, on découvre un monde plein de trésors, où passé glorieux et jeunesse en ébullition se côtoient dans un total éclectisme. C'est un cliché, mais il faut le dire: Bucarest est un secret bien gardé, qui mérite bien plus qu'une halte de deux jours entre un voyage en Transylvanie et une croisière sur le Danube.

JOUR 1

9h30: l'éléphant blanc

Il est incontournable, alors aussi bien commencer par là. Le Palais du Parlement, créé par le dictateur Ceausescu dans les années 80, est une «maison monstre» puissance 10, construite en plein coeur de Bucarest. Un million de tonnes de marbre, 550 000 tonnes de ciment, 3500 tonnes de cristal réparties sur 1000 pièces et une surface au sol de 66 000 m2! La visite d'une heure (qui ne couvre que 10% du bâtiment!) se résume en une succession de grandes salles vides, où le marbre, les tentures et les candélabres de cristal rivalisent de luxe inutile. Un tiers du centre-ville (40 000 maisons) a été rasé pour faire place à cet éléphant blanc, inauguré en 1994, cinq ans après la mort de Ceausescu. Outre le Parlement, le bâtiment abrite aussi un musée d'art contemporain. Mais la majorité des pièces sont inoccupées. Quel gaspillage!

Strada Izvor 2-4

11h: ça sent l'encens

Bucarest regorge de petites églises orthodoxes plus ou moins dissimulées, qui font battre l'âme de la ville. Certaines ont une histoire plus spéciale que d'autres. L'église du «Couvent des nonnes», par exemple, fut sauvée de la démolition pendant la construction du Palais du Parlement, en étant déplacée de quelques mètres sur des rails de chemins de fer. L'ingénieur derrière ce miracle (Eugen Iordachescu) est aujourd'hui considéré comme un héros national. Un peu plus loin, l'église Mihai Voda fut rescapée de la même façon. À l'intérieur, une fresque représente le roi Michael (toujours vivant) et le collaborateur Ion Antonescu, le «Pétain roumain» dans son uniforme nazi. Étonnant.

Strada Stavropoleos 4

13h: un peu d'Histoire

Les bulldozers n'ont heureusement pas détruit tout Bucarest! La vieille ville, en premier lieu, reste un des beaux endroits de la capitale, avec ses rues pavées piétonnières et ses bâtiments historiques. Passons devant les vestiges de la citadelle construite au XVe siècle par Vlad l'Empaleur, et la superbe église Stavropoleus (1730) pour aboutir à l'Auberge de Manouc. Cet ancien caravansérail, construit en 1808 pour les marchands ottomans de passage, est une superbe cour intérieure, qui abrite aujourd'hui des restaurants et même un Starbucks. On n'arrête pas le progrès!

Auberge de Manouc: Strada Franceza 62-64



14h30: la belle librairie

La vieille ville, ce n'est pas que du vieux. C'est aussi des bars, des cafés et des terrasses où les touristes et la jeunesse locale se mélangent pour faire la fête. Côté magasinage, c'est pas mal non plus. Coup de coeur pour la superbe librairie Carturesti, située dans la populaire rue Lipscani. Cette ancienne banque de style Art déco, retapée par de jeunes designers, a ouvert ses portes début 2015. Courbes harmonieuses, blanc virginal, éclairage moderne, espace grand ouvert, passerelles, café: l'endroit est en soi une attraction... Évidemment, les livres sont en roumain, mais quelle importance?

Strada Pictor Arthur Verona 13-15 librarie.carturesti.ro



15h: le grand parc

Assez de culture, un peu de verdure! En sortant de la vieille ville, prenons la direction du parc Cismigiu, le plus vieux - et le plus beau - parc de Bucarest. Créé au XIXe siècle, dans l'esprit des buttes Chaumont à Paris, cet espace vert surgi d'une autre époque a quelque chose d'ensorcelant. Du parc pour enfants aux petits vieux jouant aux échecs, en passant par les stands à crème glacée ou le lac artificiel, tout ici respire la flânerie et la douceur de vivre. Les week-ends et jours fériés, on peut aussi acheter de la cuisine artisanale dans l'un des nombreux stands qui bordent le parc. Génial.

Aleea Magnoliei



17h: 5 à 7

C'est l'heure du 5 à 7. À deux pas du parc Cismigiu, Kaffeewagen propose du très bon café torréfié sur place, et même du bon vin roumain si le coeur vous en dit. Pour les amateurs d'exotisme, on suggère le passage Macca-Villacrosse, tout près de la vieille ville. Ce couloir «belle époque» en forme de «u», recouvert de vitre jaune, abrite une dizaine de cafés et de bars où l'on peut fumer le narghilé, un autre rappel de l'influence ottomane à Bucarest.

Kaffeewagen: Bulevardul Regina

20h: Garou en scène

Et pourquoi pas un spectacle pour boucler la journée? La salle Palatiliu, un bâtiment aux formes modernes construit en 1960, est l'endroit tout indiqué pour aller pour voir des vedettes populaires roumaines et même internationales. Tiens, pendant notre visite, Garou - oui, celui-là - y présentait son spectacle Rhythm'n'blues. On ne savait pas que Garou était populaire au pays de Zamfir!

Strada Ion Câmpineanu 28 htsalapalatului.ro

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Ancien caravansérail, l'auberge de Manouc abrite aujourd'hui des restaurants.

JOUR 2

9h: la vraie affaire

Pour bien sentir le pouls de Bucarest, une visite s'impose à Obor. Cet immense marché, vieux de 150 ans, n'est pas exactement sur le circuit touristique, mais si vous voulez voir «la vraie affaire», vous êtes au bon endroit. On a aimé ce lieu vivant, vibrant et chaotique, avec ses étalages de fruits, légumes, noix, viandes ou desserts orientaux, tenus par des femmes de la campagne avec foulards sur la tête.

Soseaua Stefan cel Mare

11h: rustique

Il fait beau, passons par le Musée du village, un lieu bien connu des Bucarestois. Ce musée ethnologique à ciel ouvert, créé dans les années 30, est constitué d'environ 300 bâtiments rustiques authentiques (maisons, ateliers, moulins, églises) importés des quatre coins de la Roumanie. Une bonne façon de saisir en un coup d'oeil la diversité culturelle du pays. L'endroit est situé au nord, tout près de l'immense parc Herastrau, où l'on peut louer des bateaux et des vélos.

Musée du village: Soseaua Pavel Dimitrievici Kiseleff 28-30 muzeul-satului.ro 

Parc Herastrau: Sector 1, herastrauparc.ro



13h30: rhapsodie roumaine


Retour au centre-ville pour faire le plein de culture. Optons pour le musée George-Enescu, consacré au grand compositeur roumain, qui se trouve dans un remarquable bâtiment Art nouveau. On peut y voir plusieurs objets ayant appartenu au musicien: partitions, redingotes, lunettes... Mais la révélation se trouve à l'arrière, dans la maison plus modeste qu'habitait Enescu dans les années 40. Du lit à la baignoire, tout a été préservé tel quel. La salle de musique vaut à elle seule le déplacement.

Calea Victoriei 141 georgeenescu.ro/en



14h30: pour Baba


Un peu plus bas, dans la rue Calei Victorei, les amateurs de peinture apprécieront le Musée national d'art de Roumanie, situé dans l'ancien Palais royal. Beaucoup de salles et surtout, beaucoup trop de surveillants! Bon. Faisons avec. Coup de coeur pour les peintures dérangeantes de Corneliu Baba, le Munch roumain, à qui deux salles complètes sont consacrées.

Calea Victoriei 49-53 mnar.arts.ro/Home



15h30: In memoriam


Face au musée se trouve la place de la Révolution. Un «must». C'est ici que Ceausescu a donné son dernier discours sous les huées, le 21 décembre 1989, avant de s'enfuir en hélicoptère avec sa femme. Aujourd'hui, c'est le lieu de mémoire de la révolution roumaine. On y a érigé plusieurs sculptures pour rendre hommage à ceux qui se sont battus ou sont morts pour la cause, la plus notable étant cette grande flèche transperçant un oeuf, évocation symbolique des souffrances du peuple roumain sous la dictature communiste.

Piata Revolutiei

17h: prendre l'air

Restons dehors. Derrière les immeubles d'habitation bâtis par les communistes et les grands axes routiers, Bucarest est plein de petits quartiers sympas qui ne demandent qu'à être découverts. Ces zones de silence, où le temps semble suspendu, permettent de découvrir l'éclectisme architectural de la ville, avec ses maisons Art nouveau, ses appartements Art déco typiques des années 30, et ses bâtiments de style roumain, au carrefour de l'Orient et de l'Occident. Échouez sur la terrasse de Dianei 4, le café-bar des hipsters de Bucarest.

Strada Dianei 4 dianei4.translucid.ro



19h: tourner la tête


La visite serait incomplète sans un concert à l'Atheneum, où se produit régulièrement l'orchestre philharmonique George-Enescu. Ce bâtiment circulaire néoclassique, créé par l'architecte français George Galleron en 1888, est l'un des joyaux du patrimoine de Bucarest, avec son dôme, ses coupoles, son design fin de siècle, ses colonnes de marbre et ses ornements à n'en plus finir. Le hall d'entrée en lui-même est un spectacle, tout comme la salle de concert. À faire tourner la tête, peu importe le programme.

Strada Benjamin Franklin 1-3

21h: resto Art déco

Ventre vide? Bouclons le séjour chez Caru Cu Bere, le restaurant le plus célèbre de Bucarest. Ambiance assurée dans cette brasserie dès 19h, où touristes et locaux viennent pour manger roumain ou simplement prendre une bière. Vers 21h30, deux couples de danseurs déboulent au centre du resto. Regardons le spectacle de notre table avec un verre de palinca (l'eau-de-vie roumaine) et une bonne cigarette. On avait oublié de vous dire: Bucarest est le paradis des fumeurs. Ici, on peut en griller une à peu près n'importe où!

Strada Stavropoleos 5 www.carucubere.ro/en

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Le Musée du village est constitué d'environ 300 bâtiments rustiques authentiques.