Mecque des surfeurs, refuge parfait pour contemplatifs, pèlerinage pour amoureux de plein air et de la forêt pluviale canadienne, Tofino est un paradis verdoyant à l'extrême ouest du Canada. À cinq heures de route de Victoria, cette petite localité où cohabitent planchistes, hippies chic et granos nouveau genre est la destination parfaite pour réapprendre à respirer au rythme du Pacifique.

«Tofino n'est pas facile à trouver. Mais les efforts de ceux qui veulent vraiment parcourir la route jusqu'ici sont récompensés», promet Charles McDiarmid, directeur de l'hôtel Wickaninnish, alors que nous profitons du soleil automnal - une rareté pour l'île de Vancouver! - sur la plage Chesterman.

Il faut du temps et un peu de persévérance avant d'échouer à Tofino: un vol en deux temps (Montréal-Vancouver, Vancouver-Victoria) suivi d'une route de cinq heures. Le voyage débute par une traversée de petites localités paisibles (Nanaimo, Parskville, Coombs) et se corse sur les chemins sinueux dans la forêt pluviale. Si bien que le soulagement nous gagne quand on voit le premier signe de civilisation dans ce paysage rude et sauvage.

«Uqualuit à gauche, Tofino à droite», annonce un panneau fin seul au milieu d'une dense forêt de conifères géants. Plus que quelques kilomètres pour enfin atteindre Tofino et l'ultime récompense: une mer sauvage et dramatique bordée de plages ornées de bois mort rongé par les eaux.

«Tu vas voir: les gens ici vivent à deux à l'heure. Si tu donnes rendez-vous à quelqu'un, attends-toi à ce qu'il arrive au moins 15 minutes en retard», explique Florian Besson, instructeur de pêche d'origine française qui a élu domicile à Tofino il y a trois ans. Il affirme avoir «frappé un mur» en confrontant sa nature latine à une telle tranquillité.

L'après-midi est ensoleillé et Florian a proposé une promenade en bateau pour contempler les float houses et les jolies maisons avec vue sur la mer des vieux hippies de Cats Island.

Pendant les mois d'été, Tofino est une petite ville grouillante de jeunes étudiants et de (moins jeunes) bohèmes, pour qui la vie est une plage et le bonheur, une vague parfaite. Tofino est la capitale du surf. Mais aussi un petit coin de paradis où plusieurs hippies et draft dodgers (ces Américains qui ont fui la guerre du Vietnam) se sont installés, dans les années 60. Des têtes blanches au grand sourire, l'air déglingué, des Crocs aux pieds, il y en a partout dans les commerces et les restos de Tofino.

D'ailleurs, une visite au magasin général laisse deviner que nous ne sommes pas dans une petite ville canadienne ordinaire. Bien en vue, dans le rayon des magazines, on a le choix entre Mother Jones, Harper's, The Atlantic Monthly, The New Yorker...

L'actuel maire de Tofino est lui-même un draft dodger typique. L'un de ses concitoyens est un ancien professeur de Yale, un autre était médecin dans une ancienne vie. Plusieurs autres sont des fondateurs d'entreprises high tech qui ont renoncé à la pression et au stress pour vivre ici. On croirait que la dictature du BlackBerry n'a pas encore atteint Tofino. Ce qui ne veut pas dire que le dénuement dans l'apparence des habitants de cette ville de 3000 âmes trahisse la maigreur de leurs comptes en banque.

«Certains gens ici, qui portent des vêtements à deux sous, sont en fait des multi-multimillionaires», confie Florian.

La conquête de l'Ouest

Comment le touriste de passage trouve-t-il son compte à Tofino? Tout dépend de ses envies et de sa nature profonde. Les hyperactifs ne se feront pas prier pour s'initier au surf, au kayak de mer ou à la pêche à la mouche. Des classes d'initiation sont offertes par les écoles spécialisées et les hôtels. De la mi-février à la mi-juin, des excursions en mer pour l'observation des baleines sont offertes. Et depuis quelques années, la contemplation des tempêtes hivernales (le storm watching) est une activité très prisée des voyageurs.

Mais vraiment, la meilleure chose à faire à Tofino est d'ouvrir grand les yeux et les oreilles, prendre une grande bouffée d'air frais et se laisser émerveiller par la richesse des lieux. S'offrir une longue marche sur l'une des nombreuses plages des environs, observer les aigles, cueillir des sand dollars ou des pièces de bois savamment sculptées par la mer, emprunter un vélo de plage pour découvrir les environs, partir en randonnée sur l'un des nombreux sentiers de la région...

On comprend vite ce qui a motivé tous ces hippies à renoncer au stress pour mener une vie paisible dans la nature de Tofino.

«Les années 60 ont été incroyables ici. Ma mère avait l'habitude de m'amener à Florencia Bay: on y trouvait tous ces gens qui vivaient sur la plage dans des huttes de bois. À cette époque, on dénombrait ici plus de Westfalia par habitant que n'importe où ailleurs en Amérique du Nord», relate Charles McDiarmid, qui est le fils du tout premier médecin qui s'est établi à Tofino, au milieu des années 50.

Entre fantômes et croissance

Certains «fantômes» issus des années hippies de Tofino planent encore sur cet endroit empreint d'une précieuse sérénité. Le sculpteur Henry Nola - qui a quitté l'Espagne pour s'établir à Tofino - est l'un d'entre eux. Un de ses élèves, George Yearsley, garde bien vivants les enseignements de Nola en sculptant des totems inspirés de la tradition des Huu'Mees Ma'As dans son atelier situé sur la plage Chesterman. Il répond surtout aux commandes de touristes européens friands d'art amérindien.

«Henry Nola m'a appris à vivre», confie l'artiste aux cheveux bouclés et au look très décontracté, qui consacre plusieurs heures de ses journées à causer sur la plage avec les promeneurs de chiens qui font escale chez lui.

Malgré leur éternelle jeunesse, les hippies souriants qui coulent de beaux jours à Tofino n'ont plus 20 ans. Et ils n'aiment pas trop que les membres de leur relève (les granos sans le sou et sans ni diplôme) squattent leurs plages privées. Quant aux surfeurs joyeux, ils vont et viennent, mais rares sont ceux qui ont les moyens de s'offrir une résidence ou un lot dans cette petite ville où les propriétés valent désormais des fortunes.

Les jours hippies de Tofino sont-ils comptés?

«Notre communauté est très protectrice de l'environnement, sachant qu'elle a l'immense privilège de vivre dans une biosphère protégée par l'UNESCO. Je crois que Tofino va continuer de croître de façon stable et durable. Je ne vois pas le jour où cet endroit ressemblera à Bali, avec un Ritz-Carlton, un Four Seasons, un Shangri-La... Le plus important, je crois, est d'offrir quelque chose à tous les types de touristes», soutient Charles McDiarmid.

L'action citoyenne, rapporte-t-on, se fait entendre pour empêcher le déboisement et la construction exponentielle de Tofino. Mais la caissière amérindienne du magasin général ne se fait pas trop d'illusions...

«On bâtit sans cesse ici. C'est comme ça depuis des années. Cela ne va pas changer...» soupire-t-elle.

Où manger à Tofino?

SoBo

Le «Sophisticated Bohemian» porte bien son nom, avec une clientèle hybride (hippies chic et préretraités, jeunes professionnels décontractés, familles cool avec jeunes enfants) et son raffinement chaleureux. On y est accueilli par Artie Ahier, grand gaillard sympathique qui gère l'établissement avec sa femme Lisa (qui dirige la cuisine).

Proposant une cuisine simple et bien faite, typiquement «côte Ouest», le SoBo fait la part belle aux vins de Colombie-Britannique, aux légumes cultivés localement et aux produits de la mer. Parmi les incontournables: le «Killer Fish Tacos». Logé dans une vaste salle aérée et décorée de façon simple et pimpante, ce repaire favori des gastronomes de Tofino propose aussi une belle sélection de repas et gâteries faits maison à emporter.

311, rue Neill, Tofino, www.sobo.ca

Prendre un café chez les granos

Common Loaf Bake ShopQuartier général des hippies - les vendredis, ils s'y réunissent pour réinventer le monde -, le Common Loaf Bake Shop est l'endroit idéal pour s'imprégner de la vie de Tofino. La propriétaire, Maureen Fraser, a ouvert son commerce à la fin des années 60 dans une belle et vaste maison victorienne rouge vif. Ses cafés, boissons chaudes et pâtisseries vaguement granos - les scones ne sont pas piqués des vers! - sont très appréciés des habitants et surfeurs de passage.

Trame sonore pour un road trip dans l'île de Vancouver

• La bande sonore du film Into the Wild, composée par Eddie Vedder, leader du groupe Pearl Jam

• L'album Cripple Crow de Devendra Banhart

• L'album Blue de Joni Mitchell

• L'album Oh Mercy de Bob Dylan

• CFUV 101,0 FM, l'excellente chaîne de l'Université de Victoria