On dit souvent que c'est la première impression qui compte. Ma première impression de la côte centre-nord de Terre-Neuve, c'est la grande terrasse de l'auberge Seven Oakes Island Inn, perchée au-dessus du petit village de pêcheurs de Change Islands.

La chaude lumière de la fin de l'après-midi fait ressortir la riche couleur bordeaux des hangars qui, sur des plateformes de bois au bord de l'eau, servent à entreposer la morue salée et l'équipement des pêcheurs. Confortablement assise sur un fauteuil de bois, je saisis mon appareil photo pour capturer cette atmosphère de paix. Aaah.

Un bon souper nous attend à l'auberge, de la morue bien sûr, de la bonne cuisine maison que nous partageons avec trois Terre-Neuviens en vacances.

Avant que la lumière ne diminue trop, nous montons à bord du putt-putt de Pete Porter pour une petite balade dans le port. Ce fameux putt-putt, c'est une barque traditionnelle dotée d'un vieux moteur qui fait joyeusement pout-pout-pout dans l'air du soir. Nous glissons le long des hangars alors que Pete nous parle de sa communauté et de son amour pour les vieux bateaux, qu'il adore remettre à neuf. Comme son putt-putt, et comme ce bully boat centenaire qui fait actuellement grise mine sur le rivage.

Après l'accostage, Pete nous fait visiter son petit musée personnel, des antiquités qu'il collectionne avec tendresse, de vieux fers à repasser jusqu'aux bulletins scolaires d'enfants maintenant bien vieux. Pas besoin d'insister très longtemps pour que Pete saisisse son accordéon et nous joue quelques airs traditionnels.

Passer la nuit dans l'auberge de Mme Oake, c'est un peu comme aller demeurer chez sa grand-mère, à la campagne. Le papier peint est un peu défraîchi, mais les murs semblent avoir bien des choses à raconter. L'air du large entre par la fenêtre à demi ouverte.

Au petit matin, nous parcourons un des nombreux sentiers de randonnée de l'île. Le nom de ce sentier est déjà évocateur: le Squid Jigger, ou le Pêcheur de calmars (to jig signifie pêcher à la turlutte, une sorte de tige de plomb armée d'hameçons). Le sentier suit de petites anses isolées, grimpe sur des monticules rocheux qui permettent d'avoir une vue sur l'intérieur de cette étroite île et se termine près du cimetière, un lieu (évidemment) paisible.

Pourquoi ce nom de Change Islands? Parce qu'à l'origine, les habitants déménageaient d'un côté à l'autre de l'île selon les saisons.

Change Islands, village de 250 habitants, est hors du temps. Pour se rendre, il faut quitter la terre ferme et prendre le traversier. Déjà, on se sent dans un autre monde.

Photo: Marie Tison, La Presse

Un bully boat en attente d'une petite rénovation à Change Islands.

Le renouveau de Fogo Island

Un autre saut de 45 minutes en traversier, et on se retrouve à Fogo Island, île un peu plus grande qui compte six communautés et environ 2500 habitants. Le paysage est plus rude qu'à Change Islands, plus dénudé. Son nom proviendrait du portugais fuego, le feu, peut-être en raison des feux des Indiens béothuks, aujourd'hui complètement disparus, qui habitaient l'île au moment où les pêcheurs portugais naviguaient dans les parages.

Dans l'anse de la petite communauté de Joe Batt's Arm, plus d'une douzaine de chaloupes blanches (qu'on appelle ici punts) mouillent au gré des flots, parfaitement alignées. Chaque année, des hommes et des femmes particulièrement en forme participent à une grande course aller-retour entre Fogo Island et Change Islands, 18 bons kilomètres en pleine mer. Évidemment, les chaloupes ne sont pas les embarcations les plus rapides du monde, mais les meilleures équipes font le trajet en un peu plus d'une heure et demie.

Cette course, qui donne lieu à de grandes festivités, est un exemple de l'élan de vigueur qui a saisi Fogo Island, une vitalité générée par les habitants de l'île - comme le maire de Tilting, qui peut vous entretenir pendant des heures de sa petite communauté de 200 personnes -, mais aussi par des expatriés, comme Zita Cobb.

Cette native de Joe Batt's Arm, fille d'un pauvre pêcheur, a fait fortune dans la haute technologie (elle était vice-présidente de JDS Uniphase). Après avoir pris sa retraite avant même d'avoir 50 ans, elle a décidé de venir en aide à sa communauté en créant une fondation avec 10 millions de dollars de sa propre poche. La Shorefast Foundation est à l'origine de la course de chaloupes, mais aussi d'un intéressant programme de résidences pour artistes internationaux. À notre passage, justement, Oliver Lutz, artiste visuel contemporain américain, s'apprête à s'installer dans l'une de ces résidences et à donner la première d'une série de conférences sur l'art et sur ses oeuvres, dont certaines sont exposées à la Tate Gallery de Londres.

Le studio qui l'accueille, dessiné par le réputé architecte terre-neuvien Todd Saunders, est une oeuvre d'art en soi. Sur une colline dénudée de Tilting, à la rude beauté, surgit cet étranger rectangle de bois noir et de verre. Deux autres studios du même architecte sont actuellement en construction dans d'autres communautés de l'île.

Nous pique-niquons sur une plage de Tilting, à Oliver's Cove, alors que la brise agite les longues herbes et qu'un homme vient vérifier l'état de ses légumes dans un petit jardin traditionnel abrité entre les dunes.

Nous terminons la journée par une promenade sur un autre sentier, Brimstone Head, qui nous donne une vue en plongée sur la communauté de Fogo.

La région du centre de Terre-Neuve compte 55 de ces petits sentiers de randonnée, pour la plupart très faciles et bien aménagés. Ils ont été conçus dans le cadre d'un programme gouvernemental terre-neuvien pour donner du travail aux pêcheurs touchés par le moratoire de 1992 sur la pêche à la morue.

«Pas de morue, des tonnes de sentiers», résume mon guide, Shannon.

S'y rendre

On peut prendre le traversier qui relie la Nouvelle-Écosse à Port-aux-Basques, à Terre-Neuve, et suivre la Transcanadienne jusqu'à Lewisporte (plus de 500 km de route), d'où part le traversier pour Change Islands et Fogo Island. On peut aussi voler à Gander, louer une voiture et se rendre à Lewisporte (60 km).

Se loger

Il n'y a pas d'hôtels à Change Islands et Fogo Island. Il n'y a que des bed and breakfast et de très petites auberges. Il faut absolument réserver d'avance.

Les frais de ce voyage ont été assumés par Tourism Newfoundland.

Photo: Marie Tison, La Presse

Le studio d'art visuel de Tilting, sur Fogo Islands