Six heures du matin. Je m'installe au bout de la table. Je commence à réviser mes textes, seul dans la salle à manger, devant un café épais comme de la mélasse. C'est une boue caféinée qu'on sert ici et qu'il faut mélanger à de l'eau bouillante. Attention au dosage parce qu'on peut se faire exploser la patate.

Un bruit attire mon attention. Pendant un instant, je crois qu'un hydravion tente de se poser sur la rivière. Le bruit se précise. Je lève la tête.BZZZZZZZ!

C'est une espèce de taon brun, long et poilu comme mon mollet, avec un cul comme une semi-remorque et un dard comme un fleuret, qui flotte entre ciel et terre, à 12 pouces de mon visage.

BZZZZZZZ!

L'insecte, je le jure, m'observe! Et ses yeux de super mouche sont si grands que je m'y vois l'air hébété, en un millier de réflexions...

C'est de la science-fiction?

Non. C'est un lundi matin dans la forêt amazonienne.

Quel milieu naturel incroyable! Depuis le temps que j'entendais parler de l'importance de l'Amazonie, enfin, je comprends!

C'est la nature dans sa forme la plus primitive, la plus brute, la plus belle, qui nous rappelle que l'espèce humaine est loin d'être brillante et que, à part avoir appris à utiliser nos pouces préhensiles et notre capacité de destruction, nous sommes terriblement ignorants. Des plantes qui communiquent entre elles? Des coccinelles qui se déguisent en hiboux ? Bof, c'est banal. Ici, c'est la planète Terre!

Ici, les papillons de nuit font peur aux chauves-souris. Après la pluie, on peut voir les arbres se battre pour boire l'eau des flaques. Les serpents sont si longs que les deux bouts se rencontrent deux fois par année:à Noël et à la Saint-Valentin.

Et les araignées? Ayayayaye! On l'a taquinée, dans son trou, pendant cinq minutes avec une baguette. Finalement, elle a mordu, comme un poisson à un hameçon. Elle a serré notre intrus entre ses mandibules, on a tiré doucement sur le bâton et elle est apparue : la célèbre chicken spider, une araignée de la famille des tarentules, grande comme une assiette, velue comme un Grec et avec les crocs de Dracula.

Dormez sous une mous¬ti¬quaire!

Même les touristes qui visitent la forêt sont de curieux personnages, avec des agendas parfois surprenants... Dans la grande salle du lodge Posada Amazonas, je pose des questions.

- Bonjour, qui êtes-vous? Qu'êtes-vous venu faire ici?»

Ron, le gars du New Jersey avec le télescope, m'explique qu'il est venu pour compter des mammifères. Je ne saisis pas vraiment.

- Compter?

- Oui. Un, deux, trois... Vingt.

- Compter.

- Oui, compter !

- Vous en avez compté combien jusqu'à présent?

- Sept. Presque huit !

- Génial.»

À la même table, le monsieur de Victoria avec l'ordinateur portable, lui, vient pour observer des grenouilles.

- Vous êtes expert, scientifique, chercheur?

- Non. J'aime les grenouilles. Mon nom est Robert.»

Je l'ai suivi au jardin, Robert. Il m'a montré la poison dart black frog : une minuscule grenouille noire et orange, sur le dos de laquelle les indigènes frottent leurs pointes de flèche, pour les rendre empoisonnées... C'est qu'il est mignon, le petit batracien toxique!

- Yes, but do not lick it.

- Do not lick it ? Merci Robert... Je vous assure que je ne la licherai pas. Ni celle-ci, ni les autres, d'ailleurs.»

Et franchement, entre vous et moi, depuis que je suis arrivé dans la jungle, je n'ai pas eu envie de licher grand-chose. À part, peut-être, le singe-écureuil.

Puis il y avait Jeanne, la femme de Munich, avec l'appareil photo à 2000 euros, qui était venue jusqu'ici afin de photographier UN oiseau, un seul : le fameux blue bird truc machin. Pourquoi ?

«Parce qu'on ne peut le voir qu'ici.

- Et ensuite ?

- Ensuite ? Bien, je l'aurai vu !

- Ah bon.»

Elle a sifflé un coup, puis elle a fait une tête qui ressemblait à «non mais, quel crétin, ce Canadien» ...

Et finalement Jérôme, un cinéaste de brousse, qui passe beaucoup de temps ici, depuis deux ans, à filmer les moeurs des aras.

- Tu filmes les perroquets ?

- Oui, et j'aime bien prendre de l'ayahuasca avec un chaman.

- Pardon ?»

L'ayahuasca est un arbre duquel on extrait une substance qui provoque des hallucinations. Les gens du coin l'utilisent pour communiquer avec le dieu de la forêt. Jérôme me raconte avec enthousiasme.

- La dernière fois, je suis devenu un spermatozoïde et je me battais avec les autres spermatozoïdes pour arriver le premier à l'ovule, puis je me suis envolé dans l'espace, et j'ai plané autour des planètes !

- Tu m'intéresses, l'ami Jérôme...

- Je peux t'y amener, si tu veux.»

J'hésite.

- Pas possible. Je suis en tournage cette semaine.

- La semaine prochaine, alors ?»

Je réfléchis...

Ça vous dirait, un voyage astral?