Même si rien n'y paraît à bord, la crise économique affecte les propriétaires qui possèdent des résidences à bord de The World, ce paquebot pour gens fortunés qui vogue tranquillement de port en port autour du globe depuis 2002.

«L'an dernier, il n'y avait pas d'appartement à vendre à bord; aujourd'hui, il y en a 30», constate Nicki Upshaw, vice-présidente ventes et marketing de ResidenceSea Management, la société qui gère le paquebot. «Mais les gens ne vendent pas seulement à cause de l'économie, précise-t-elle. Certains veulent acheter plus grand ou plus petit, parce que leur appartement ne correspond plus à leurs besoins. Et puis, il y a ceux qui veulent passer à autre chose.»

The World met deux ou trois ans à faire le tour du monde, en faisant des détours dans les endroits les plus reculés des deux hémisphères. À la différence des paquebots de croisière traditionnels, il passe beaucoup plus de temps dans les ports d'escale - 265 jours par année - qu'en mer. «L'objectif est de permettre aux résidants d'explorer à leur aise une ville ou une région», remarque Francine Prud'Homme, «ambassadrice» (dans les faits: représentante) de The World au Canada.

Ainsi, les propriétaires peuvent choisir, en fonction des escales, de passer une ou deux semaines dans une région du monde où ils n'ont jamais mis le pied. Et ils peuvent revenir quatre mois plus tard, pour voir ou revoir une autre partie du globe qui les intéresse. Ils sont toujours chez eux, dans leurs meubles et dans un décor dont ils ont supervisé la conception. Lorsqu'ils ne l'occupent pas, certains mettent leur «résidence» en location par l'entremise de ResidenceSea Management. D'autres préfèrent la laisser inoccupée.

En moyenne, un propriétaire séjourne à bord du navire quatre mois par an. Il est donc normal qu'après quatre ou cinq ans de ce régime, il veuille passer à autre chose.

Pas pressés

Même si les 165 appartements et studios du paquebot peuvent loger plus de 600 passagers, il s'en trouve rarement plus de 200 à bord. Et ils ne sont pas pressés de débarquer, lorsque le navire accoste dans un port, puisqu'il y restera entre deux et quatre jours. Ce qui provoque souvent l'étonnement des vendeurs à la sauvette qui attendent les passagers du navire à la faveur d'une escale.

Ainsi, lorsque The World, qui jauge 43 500 tonneaux, a fait escale à Dakar, au Sénégal, l'an dernier, il a mouillé au large et mis à l'eau la vedette qui amenait les passagers à quai. Une dizaine de personnes avaient pris place à bord. «Lorsque la vedette a débarqué ses occupants, ils ont été cernés par une nuée de vendeurs ambulants», raconte Dag Saevik, commandant du navire. «L'un d'eux a demandé à un homme d'équipage où étaient les autres.»

L'homme d'équipage lui a répondu qu'ils ne seraient probablement pas plus nombreux à débarquer ce matin-là. «Le vendeur ne le croyait pas, poursuit Dag Saevik. Il savait très bien qu'un navire de ce gabarit transporte habituellement entre 900 et 1400 passagers.»

«Communauté flottante» pour fortunés

Mais The World n'est pas vraiment un navire de croisière. Ses occupants le définissent comme «une communauté flottante». L'usage du mot «cabine» n'a pas cours, à bord. Il faut dire «résidence», car les occupants en sont propriétaires. Ou alors, ce sont des «locataires» venus partager la vie de la «communauté» pendant une ou deux semaines et qui, comme tous les locataires de ce monde, bénéficient, eux aussi, de la qualité de résidant.

La faible «densité de population» explique le fait qu'on ne sent jamais d'effet de foule, à bord, et qu'on ne fait jamais la file pour attendre une table dans un des restaurants. Sans compter qu'avec un ratio d'un peu plus d'un membre d'équipage (ils sont 265) par passager, le service est toujours empressé.

Il faut être fortuné pour entretenir une résidence secondaire flottante à bord de The World. Elles se vendent entre 825 000 $US, pour une petite suite de 377 pieds carrés, et 8,6 millions pour un grand appartement de 3250 pieds carrés. Ce «droit d'entrée» ne suffit pas, puisque les résidants doivent encore débourser des frais d'entretien annuels (220 $ du pied carré) et un forfait «nourriture et boissons» de 42 815 $ par année. Ce qui permet de faire tourner les quatre restaurants du bord.

Lorsque le propriétaire et ses invités mangent au restaurant ou prennent un verre dans un des trois bars, la somme de ce qu'ils consomment est portée à leur compte. S'ils n'ont pas dépensé la totalité du forfait de 42 815 $, le solde leur est crédité l'année suivante. Mais pour la troisième année, le compteur est remis à zéro.

«Nos résidants sont souvent des entrepreneurs qui ont réussi en affaires. Ils ont 55 ans en moyenne, sont originaires de 19 pays et séjournent sur le navire quatre mois par année», explique Nicki Upshaw. Mais l'âge des passagers couvre un éventail beaucoup plus large, puisque les propriétaires invitent régulièrement leurs enfants ou leurs petits-enfants. «L'été, nous avons une moyenne d'une quarantaine d'enfants à bord et nous employons un coordonnateur qui prépare et supervise l'encadrement de programmes d'animation», indique David Stewardson, directeur résidant.

Les locataires appartiennent souvent à la même classe sociale. Ce sont des candidats à l'achat qui viennent tester le mode de vie du bord, pendant une ou deux semaines, pour voir s'il leur convient. Pour ce faire, un couple paiera entre 1450 $ et 2500 $ par nuit, selon la grandeur du studio qu'il occupe, en formule tout compris. Les appartements sont loués entre 2100 $ et 5100 $ par nuit.

Commandant d'expérience

The World n'est pas le premier commandement de Dag Saevik. Malgré sa jeune quarantaine, ce Norvégien d'origine a déjà dirigé les équipages de deux autres navires de luxe: le Windstar Spirit et le Seabourn Goddess. «Mais ici, mes fonctions débordent du simple cadre de la navigation, observe-t-il. Je participe à la préparation des itinéraires, une tâche qui, sur les navires de croisière, est dévolue aux services du marketing. J'en suggère trois et le comité des résidants en choisit un et me demande d'y apporter quelques modifications que nous discutons ensemble.»

Dag Saevik affirme que les tâches d'un commandant à bord d'un navire comme The World sont moins routinières que sur un paquebot traditionnel. «Sur un navire de croisière, le même scénario se répète chaque semaine, dit-il. Il faut présider la soirée du capitaine et la soirée de gala. Ici, le paquebot est leur maison. Je les connais tous et ils me connaissent, puisque je suis celui qui emmène leur maison partout dans le monde.»

www.aboardtheworld.com