Fromagers, restaurants, vignobles, éleveurs, boulangeries, alouette!

De nos jours, les producteurs des plaisirs de la table se transforment en attraction touristique de première importance. Ils constituent la quête des touristes fins gourmets, toujours à la recherche de produits nouveaux, frais et authentiques, peu importe le nombre de kilomètres à parcourir. Ainsi, on assiste, depuis une quinzaine d'années, à l'émergence d'une nouvelle forme de voyage: le tourisme gastronomique.

Au Québec, ce phénomène ne passe pas inaperçu. En campagne, des itinéraires gourmands naissent pour satisfaire les amateurs de bonne chère, que l'on pense à la Route des saveurs dans Charlevoix, à la Route des fromages - qui couvre tout le Québec - et aux nombreuses routes agrotouristiques.

 

Dans les Cantons-de-l'Est, la Route des vins s'avère un véritable succès. Le nombre de visiteurs a grimpé de 85 000 en 2003 à 220 000 en 2007.

«Pendant les vendanges, les routes de la région de Brome-Missisquoi connaissent des mini-embouteillages! Les vignobles constatent aussi que les visiteurs s'y connaissent de plus en plus en vin», affirme Line Brault, du CLD-Brome-Missisquoi.

À Montréal, les marchés Jean-Talon et Atwater sont devenus des attractions touristiques. Dire qu'il y a 20 ans, les marchés publics étaient considérés comme dépassés! Et l'un des événements phares de l'hiver, c'est maintenant le volet gastronomique du festival Montréal en lumière, qui a accueilli, cette année, une trentaine de chefs de Paris. Des dizaines de médias écrits ou électroniques internationaux ont couvert l'événement.

Le sociologue Jean-Pierre Lemasson, spécialiste du tourisme gastronomique au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM, affirme que ce phénomène constitue un nouveau paradigme en tourisme. «Alors que la nourriture était autrefois considérée comme un complément aux autres intérêts en voyage (monument, histoire, culture), de nos jours, ça devient une préoccupation majeure et, pour certains, une priorité», dit-il.

Selon des chiffres cités par M. Lemasson, 5% des voyageurs font de la gastronomie leur principal intérêt de voyage, mais 20% affichent un intérêt marqué pour la bouffe. Ce n'est pas encore la majorité des voyageurs, mais ce pourcentage est composé des gens les plus aisés de la planète. Des touristes qui valent leur pesant d'or. «Ce sont des voyageurs expérimentés à la recherche de nouvelles sensations», dit M. Lemasson.

Et leur apport à l'économie s'avère très important. Sans le tourisme gastronomique, plusieurs restaurants montréalais ne survivraient pas. «Les fins gourmets permettent à nos grands restaurants de prospérer. Ils constituent, grosso modo, de 15 à 30% de leur clientèle», affirme Pierre Bellerose, vice-président de Tourisme Montréal. Pas étonnant que l'anglais soit si présent dans nos bons restos! La crise économique pourrait d'ailleurs leur faire mal. Plusieurs évoquent quelques fermetures.

Cuisines ethniques et télévisions

Comment le tourisme gastronomique a-t-il pris racine? Deux principales raisons expliquent ce phénomène mondial. La première, c'est que dans la plupart des grandes villes de la planète, on peut désormais goûter à une infinité de plats provenant des quatre coins du monde. À Montréal, on parle de 80 cuisines différentes. Une véritable manne pour nos papilles gustatives!

«Mais les restaurants ethniques n'offrent qu'une cuisine très stéréotypée de leur pays. Ils ne peuvent donc se substituer à la véritable expérience, celle du voyage. Il faut se rendre en Chine, au Liban ou en Inde pour s'en rendre compte», dit M. Lemasson.

L'autre facteur jouant un rôle majeur, c'est l'engouement général pour la cuisine, phénomène marqué par la popularité grandissante des émissions culinaires. Et les chefs ne sont plus confinés derrière leurs fourneaux en studio. Ils voyagent de par le monde. À la di Stasio, on discute autant de voyage que de recettes. Même chose chez Jamie Oliver, la star internationale de la cuisine.

Résultat: on fait maintenant la queue pour visiter les restaurants les plus renommés. «Chez elBulli, en Catalogue, que plusieurs qualifient de meilleur restaurant du monde, toutes les tables sont déjà réservées pour 2009!», a constaté Mathieu Brossard, agent de voyages spécialisé en tourisme chez Groupe Voyages Vision 2000.

Dans une analyse rédigée par Maïthé Levasseur, du Réseau de veille en tourisme de l'UQAM, on indique que les restaurants cotés par Le guide Michelin, la référence mondiale en matière gastronomique, voient leur achalandage augmenter de 30 à 40% en moyenne. Si seulement Bibendum le bonhomme Michelin daignait faire un tour à Montréal!

Ronald Poiré, guide touristique montréalais spécialisé en gastronomie, est à même de constater cet engouement pour la bouffe. «Les visiteurs me posent énormément de questions sur la cuisine locale. Ils veulent sortir des sentiers battus et manger dans les endroits fréquentés par les Montréalais», dit-il.

Cependant, le gourmand en vacances ne s'attarde pas uniquement à la qualité de la nourriture. Il cherche à vivre une expérience faisant appel à ses cinq sens. «Il veut entrer dans un univers et accorde beaucoup d'importance à la personnalité du chef», dit M. Poiré, qui organise, tous les week-ends, des visites gastronomiques dans le Vieux-Montréal. Et un personnage comme Martin Picard, du resto Au pied de cochon, dans le Plateau Mont-Royal, épate la visite!

L'intérêt grandissant pour le tourisme culinaire va-t-il de pair avec le désintérêt grandissant pour les sites touristiques traditionnels? Plusieurs croient que oui. «Moi, si je veux connaître l'histoire de Versailles, je n'ai qu'à visiter son site internet. Je n'ai plus besoin d'y aller. Or, impossible de m'imprégner des saveurs locales sur le web», dit M. Poiré. Une question à débattre.