Nous avions grimpé pendant deux bonnes heures. J'avais le coeur qui battait dans les tempes, les mollets en feu, et j'attendais encore ce fameux «deuxième souffle», mon Lionel.

Je n'aurais peut-être pas dû épuiser le premier.

Ce qui aurait été passablement difficile. Francis, mon guide, marchait à vive allure parce qu'il fallait revenir avant la nuit, le soleil qui se levait me pesait comme si je devais le porter, et la chaleur mêlée à la rosée avait rapidement transformé la boueuse randonnée en un insurmontable combat contre l'humidité ambiante. J'avais l'impression de respirer dans l'eau, à contre-courant. Et en pente, mes gougounes ne valaient pas de la chnoute.

Enfin, Francis s'est arrêté.

«Quelqu'un vient.»

Y a bien des choses que je ne comprendrai jamais en ce bas monde. En voici une: un mec aux cheveux longs, avec un t-shirt de Metallica, a jailli du bois, les yeux rouges comme un lapin; il s'est avancé, presque au ralenti, les bras tendus comme un zombie, avec une grosse «boulette» dans les mains. Un informe «tas brun» non identifié. Un troublant motton de «quelque chose» ...

«You want buy haschisch?»

Ah ! Huit heures du matin, en pleine montagne, au beau milieu de la Cordillera. Et un pusher de la rue Saint-Denis!

«Euh... Non merci.»

Le rocker sauvage a secoué sa crinière, rangé sa grosse bite (de H), puis s'en est retourné dans sa tanière.

«Ici, faut faire gaffe à ne pas traverser une plantation, m'a alors confié Francis.

– Merci. Pendant une minute, je me suis demandé si ce n'était pas moi qui en avais fumé du bon...»

Je dis ça, mais au fond, je n'étais pas du tout surpris de croiser un amateur de heavy metal dans la forêt, à 2000 mètres d'altitude. Ici, ils sont partout! Parce que, aux Philippines, le rock lourd, je vous assure, ça cartonne. Une véritable religion! Les Philippines, c'est LA place pour vendre des t-shirts noirs avec des têtes de mort. Cette semaine, à Manille, on annonçait en grande pompe (et à la une des quotidiens, comme un show de Céline chez nous), un festival de death metal à venir, le Killfest, avec tout plein de joyeux groupes, tels I Breakyourface (Je brise ta face), Nosebleed (Saigne du nez), et Devil Puke Sound (Le son du vomi du diable). Et un groupe allemand, en tête d'affiche : FrinkSSmagstein.

Un nom qui ne doit pas signifier «fleurs des champs».

Nous sommes descendus nous rafraîchir dans l'eau d'une chute grandiose, puis nous avons poursuivi la route en traversant de splendides rizières en terrasses. De loin, c'est magnifique cette harmonie de formes sveltes qui dévalent la montagne, mais sur le terrain, c'est une autre % #* ! d'histoire. Faut escalader des murets de deux mètres de hauteur, en prenant appui sur des roches mouillées, et avancer sur des remparts pas plus larges que ses pieds. Du sport.

Au village de Denanao, une dame qui battait le riz sur son balcon nous a spontanément invités dans sa maison, et nous a offert à manger et à boire. Un jus de fruits exquis, un bol de fèves, et du riz... rouge! Ce que j'étais heureux (voir la chronique du 7 juin).

Puis elle nous a servi un singulier dessert: un genre de pâte à la noix de coco, simple, mais fourrée dans la fleur tubulaire rouge d'une plante carnivore. C'était très chic comme présentation. Et je verrais bien ce plat sur le menu d'un grand restaurant... Mais je vois d'ici le dilemme des végétariens!

«Chérie, est-ce qu'une plante carnivore est un légume... ou un animal?!»

* * *

Sur le chemin du retour, au bord de la route, dans un arbuste dont les feuilles ressemblaient à celles de nos framboisiers, j'ai aperçu des petites baies rouges qui avaient l'air de framboises. J'ai demandé au guide si c'était comestible. Il m'a répondu que oui. J'y ai goûté.

Étrangement, ça goûtait la framboise!

«Délicieux! Et comment vous appelez ces fruits?

– Des framboises.»

Non mais, y en arrive-tu, des affaires.

Terminé, les Philippines! Avant que le ciel ne me tombe sur la tête, je me sauve ...

Et, pour conclure en deux mots, mon périple aura été une suite de super belles surprises, dans un pays où franchement, je m'attendais à peu; parce que je ne le connaissais que par les actualités (le plus souvent des catastrophes naturelles, comme maintenant, ou des coups d'État, comme à tous les six mois), et que mon jugement s'était arrêté là. Erreur!

Il y a ici une scène culturelle vibrante, des gens accueillants et des paysages vraiment splendides. Mon seul regret, c'est de ne pas avoir vu de chasseurs de têtes... Mais rassurez-vous, les problèmes ne sont pas finis!

La semaine prochaine, on part en Indonésie.