Francis est guide pour les touristes à Tinglayan. Il est célibataire, et peine à trouver femme à marier dans son village. Et il n'est pas le seul: c'est un phénomène de plus en plus courant dans les campagnes aux Philippines.

Plus de neuf millions de Philippins, en majorité des dames, vivent dans un autre pays. Il y a d'ailleurs plus de «Filipinos» à l'étranger que d'habitants en Nouvelle-Zélande. Dans les journaux locaux abondent les annonces de «visas pour l'étranger», de «cours d'anglais pour émigrer», et de «femmes de ménage, infirmières et nounous recherchées». Ajoutez à cela les agences de rencontre réservées aux messieurs étrangers, et vous vous retrouvez avec un sérieux problème démographique... Cela dit, j'ai promis à Francis de l'aider.

Il recherche une compagne douce, avec un bon coeur. Il la préférerait de petite taille et bien en chair. «I like fat woman» sont les mots précis qu'il a employés. Il souhaite avoir des enfants, au moins autant que le temps et la santé le lui permettront. Il est propre de sa personne, il ne fume pas, et je crois, personnellement, qu'il doit avoir autour de 45 ans. Quand on lui demande sa date de naissance, il répond qu'il était trop jeune pour s'en rappeler.

Oui, il a le sens de l'humour.

Vous pouvez le joindre à l'adresse suivante: Francis Pa-In, Tinglayan, Kalinga Province, Philippines. Et son numéro de téléphone est le 09 157 690 843.

Il adore la nature, et il aimerait vivre aux Philippines, de préférence à Tinglayan, son lieu de naissance. Il voudrait même mourir là-bas.

Croyez-moi, lorsque vous aurez visité son coin reculé de pays, vous comprendrez pourquoi.

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Baguio est une chouette petite ville, perchée là-haut sur la montagne. C'est une des destinations estivales favorites des Philippins, à cause de son climat frisquet et de son bon air frais.

Je vous conseille fortement d'y aller en avion, avec la compagnie Asian Spirit, qui fait voler des Dash 7, des espèces de gros coucous à hélices, dont la production a été interrompue en 1988. Quand la piste apparaît, entre deux pics, vous ne pouvez vous empêcher de penser: «La piste est trop courte pour l'avion».

Et c'est même pas une farce...

Bang! L'atterrissage le plus brutal de ma courte expérience de globe-trotter. Quand l'avion touche le sol, l'hôtesse de l'air crie: «Placez vos pieds en chasse-neige!»

Avis aux propriétaires de dentier: attachez-le avec de la broche.

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C'est de Baguio que l'on prend l'autobus pour se rendre à Bontoc, en empruntant l'autoroute Halsema. Autoroute? Ah! Le chemin de Saint-Elzéar plutôt, oui! Avec des falaises en bonus... Halsema est une route étroite, à deux voies, qui grimpe jusqu'à 2255 mètres, le point le plus haut du réseau routier philippin. On la surnomme la «périlleuse», et elle mérite amplement ce qualificatif.

Dans certains tournants en épingle, lorsque vous regardez en bas, par la fenêtre du bus, vous ne voyez pas la route. Ni l'accotement. Y'a rien qu'un trou béant. Dans un gros vieux véhicule avec les pneus mous sur de l'asphalte trempée, il y a de quoi remettre en question son dévouement.

Le pire, c'est que je n'avais encore rien vu.

De Bontoc jusqu'à Tinglayan, la route se transforme en sentier, tout aussi escarpé, que vous devez négocier maintenant à bord d'un jeepney: ce camion typiquement philippin, fabriqué à l'origine à partir d'un ex-devant de Jeep (gracieuseté des «cours à scrap» de l'armée américaine).

La jeepney moderne est habituellement équipée de pneus lisses, d'un radiateur qui fuit et d'une suspension finie. Pratique, elle dispose d'assez d'espace pour asseoir au moins 20 personnes sur le toit.

Et là, t'as les pieds qui balancent au-dessus du gouffre et, je te jure, tu te fais secouer comme une mouche sur la queue d'une vache!

Avis aux propriétaires de moumoute: c'est un cas de «gaffer tape».

Bref, avant d'arriver à Tinglayan, je craignais un peu d'aller me balader dans des villages où les gens, il n'y a pas si longtemps, s'amusaient à collectionner des crânes humains. Après avoir survécu à l'odyssée qui m'a mené jusqu'ici? Pfff! Ça va en prendre épais pour m'effrayer.

Comme quoi tout est relatif...

– Et comment je les reconnaîtrai, les chasseurs de têtes, Francis?

– Ils portent des tatouages dans le visage.

– Comme Mike Tyson?

– Mike qui?

– Mike Tyson, le boxeur.

– Boxeur comme Cassius Clay?

Wow. Quand je vous parlais d'un coin reculé. Ici, Mohammed Ali n'a même pas encore changé de nom.

Et les hommes rêvent encore de mariage et d'enfants...