Vol 5J-311. Mieux connu sous le nom «Coucou Express». Depuis une heure qu'on se fait brasser comme dans un blender. D'ailleurs, le «jus» est extrait d'à peu près tous les individus à bord... L'odeur dans l'avion? Bile, bacon et carburant: un mélange d'enfer.

Enfin, la piste est en vue. Le vent souffle à 70 km/h. Du nord-est, l'imprévu... On l'a dans le cul! Le pilote consulte son copilote. Le copilote consulte sa montre. Faut y aller.

Le tout pour le tout!

Atterrissage à Cebu, sur une roue. Et zigzag jusqu'au bout de la piste.

À l'arrêt, le pilote se tape sur les cuisses.

«Ha ha! On est vivants. Yahou!»

Bordel. Même la boîte noire, elle était verte.

* * *

À l'aéroport, je suis attendu... Attendu? Wow! C'est la deuxième fois que ça m'arrive. À Montréal, en novembre, mon père et ma mère. Aujourd'hui, à Cebu, c'est le Gros Pierre. LE Big Pete! Celui-là même de l'aventure à Madagascar (NDLR: Bruno en a parlé longuement dans ses chroniques publiées en décembre 2006 et janvier 2007). L'ornithologue amateur et hooligan professionnel qui m'a fait vieillir de huit ans en cinq semaines....

Vous ne l'avez pas oublié, j'espère? Parce qu'il pourrait le prendre personnel, se fâcher et vous trouver, n'importe où sur le globe, et vous faire du mal. Il était de l'autre côté de la rue, le Gros. Pas question qu'il m'attende devant l'aéroport, comme tout le monde: ça aurait fait trop «sensible»!

Alors, j'ai traversé en courant, je l'ai pris dans mes bras, et je lui ai dit: «C'est le fun de serrer un gros.» Il a figé, pendant un court instant, les bras ballants, la bouche ouverte, ne sachant comment réagir à ma démonstration d'amour.

Puis, il a essayé de me tuer.

Heureusement, de braves Philippins qui passaient par là l'en ont empêché. D'abord en le frappant avec un camion de pompier, puis avec un immeuble de trois étages.

Ha! Je déconne. Mais vous savez comme les gars ne savent pas se dire «je t'aime». Fa qu'on est allé prendre une bière.

Assis sur le trottoir, en face du dépanneur, Pete s'en débouche une grosse. Faut voir les grosses bières aux Philippines! Je pense qu'elles doivent faire dans les deux gallons (précision pour les tout-petits: le gallon est une unité de mesure dont on se servait du temps qu'on pouvait mesurer l'essence en grande quantité; et il y a 3,8 litres dans un gallon).

Mais dans sa main de colosse, la bouteille démesurée a l'air d'une petite «molle». Même si Big Pete semble avoir perdu un peu de poids.

«I lost one stone», qu'il affirme.

Une roche? C'est une expression anglaise qui signifie 15 livres (un peu moins de sept kilos, les enfants). Je le taquine.

«Et qu'est-ce que t'as fait pour perdre une roche, mon gigantesque? Du jambon? De la saucisse?

– Non, du souci», me répond le gentil géant.

Big Pete arrive du Kenya. Il est parti avant le massacre. Il a des amis, des Kényans, qui y sont restés. Littéralement. Du moins, il le croit. Car il n'a plus de nouvelles d'eux. Et il est inquiet. En me racontant son histoire, ses yeux se remplissent de larmes.

«Je dois être allergique à quelque chose», prétend le Gros Pierre en reniflant.

On profite d'un premier silence pour se taire.

* * *

Je vous avais écrit que j'allais rejoindre le Gros Pierre sur l'île de Mindanao (Philippines), mais ses plans ont changé. Et il dispose de moins de temps que prévu... Nous nous sommes donc rencontrés sur celle de Cebu, afin de prendre un traversier pour Bohol, dans le but de voir un animal des plus étranges: le tarsier. C'est un minuscule primate avec une tête de Gremlin, qui tient dans le creux de la main, et dont la drôle de binette aurait inspiré, dit-on, le célèbre George Lucas dans la création de son personnage de Yoda... Et moi qui croyais pendant tout ce temps qu'il s'était inspiré de La Poune!

Un autre mythe qui prend le bord.

Puis nous irons à la recherche d'un oiseau rare, bien entendu! Le bohol bouboule – ou un truc comme ça – qui va demander encore une fois que l'on se jette en bas d'une chute de 15 mètres en pirogue, ou que l'on se batte à coups de baguettes de billard avec des Français désagréables, et/ou que l'on aille se perdre au milieu d'une jungle pleine de vipères...

C'est si bon de retrouver le Gros Pierre.