«On ne fait pas de blague avec le sida! – C'est honteux de se moquer d'une maladie si terrible! – M. Blanchet... c'est quoi le punch? Le punch? Voilà bien le malentendu.

Comme je le racontais dans la dernière chronique, je me suis fait rouler par un Africain sidéen, par un désespéré qui a déployé une énergie extraordinaire pour quelques malheureuses piastres... Et j'ai perdu, personnellement, six gros dollars dans l'arnaque.

Alors?

Alors, c'est tout. Y'en avait pas, de punch! Ça a peut-être fait «baboum» dans vos oreilles, mais c'était rien qu'un petit coup de tonnerre étouffé, lointain, et (presque) involontaire; vous auriez pu rire ou pleurer ou faire «de quessé?», et vous auriez eu raison. Au moins autant que moi, qui ne sais toujours pas qu'en penser...

L'Afrique, le continent noir? Non. La plus grande zone grise de la planète.

Bienvenue dans ma brume.

* * *

Surprise! Il y a plus de pyramides au Soudan qu'en Égypte : ce sont les pyramides de Méroé, oeuvre des Kouchites, qui ont «emprunté» aux Égyptiens leurs rituels funéraires. Elles sont plus petites que leurs consoeurs du Nord, mais comme me disait mon ex, c'est pas la grosseur qui compte.

Pour y accéder, il faut d'abord prendre un bus (150 km), de Khartoum jusqu'à Shandi : une petite ville pas du tout désagréable, mais qui n'offre aucun choix d'hôtel-budget, à part un unique locanda pourri au bord de la track, qui, pour 2,50 $, vous garantit le sommeil impossible.

De toute façon, le dodo, il sera court... Le lendemain, je dois me bouger avant l'aurore si je veux assister au lever du soleil : car l'aurore est, selon moi, le temps idéal pour visiter des ruines; le jour, elles brûlent la pellicule, alors que le coucher de l'astre les rend un peu tristes. Bref, étant donné qu'il n'y aura pas de bus à cette heure, je devrai probablement faire du pouce, de nuit, direction 50 kilomètres au nord, quelque part au milieu du désert.

On verra ça demain.

* * *

Quatre heures du matin. Je me ramasse et je sors. Dans la rue, seuls quelques dévots qui se rendent à la mosquée pour la première prière. J'admire le dévouement musulman. À sa façon, je le trouve rassurant. Assez, en tout cas, pour parcourir une ville inconnue, à quatre heures du matin avec tout mon bagage, et me laisser envahir, sans crainte, par le silence et la noirceur; assez même pour me délecter des bruits insolites et des ombres effrayantes...

Des phares s'approchent. Au bord du chemin, je tends la main. C'est une voiture de police. Elle s'arrête, et le beau discours que je viens de vous débiter part en courant dans le champ, avec ma quiétude et mon courage. Zoom! Retour à la réalité! Je suis un Nord-Américain riche et seul, nulle part dans le noir, à une heure indue, face aux représentants de l'ordre d'un pays qui extermine ses propres citoyens.

Je me penche à la portière. Trois flics à bord : un conducteur devant (c'est pareil au Soudan), et deux autres, derrière, qui semblent dormir à poings armés.

On m'embarque.

Oui... Et jusqu'aux pyramides, ma chère! Peur injustifiée numéro 200 546.

Au bout d'une dizaine de minutes, le policier qui conduit la voiture – et qui parle un chouia d'anglais –, me demande si je suis marié. Je réponds toujours oui, parce que c'est plus simple.

«Et vous?

– Oui! J'ai quatre femmes.

– Pardon?

– Quatre femmes. Une, deux, trois, quatre!

– En même temps?

– Non! Un soir numéro un, un soir numéro deux, un soir numéro trois...»

Wow! Comment on appelle ça déjà, par chez nous? Criminel, chanceux ou fou? En tout cas... Ici, c'est «Mohammed avec la moustache dans la police». Un bon gars.

Aux pyramides, re-surprise : il y a bien une clôture, mais pas de gardien en vue ni de vendeurs de cochonneries en plastique ou de t-shirts «made in China». Puis, génial détail, il n'y a aucune trace de pas dans le sable... Que le vent qui siffle, le soleil qui s'étire à l'horizon, et 50 pyramides qui se dressent devant moi.

En voulez-vous des frissons? En v'là.

Et c'est ainsi que se termine l'aventure soudanaise?

Pas tout à fait. Au Nord-Soudan, on m'a tellement cassé les oreilles avec des commentaires racistes à propos des habitants du Sud-Soudan – qui seraient tous des «Noirs alcooliques, violents et dangereux» –, que j'ai une irrésistible envie d'aller les visiter... Dans «leur» pays.

Et tant pis si c'est interdit.