«Quoi? Tu repars tout de suite? – Mais oui! Je suis venu au Québec seulement pour fêter le 70e anniversaire de papa. Faut que je retourne travailler! – Ouain.»

Ma grande soeur Chantal est un peu tannée d'avoir un frérot-toujours-sur-la-go... Mais elle sait qu'un frérot toujours sur la go vaut mieux qu'un petit frère triste couché sur son divan.

«Et où tu t'en vas, cette fois-ci?»

* * *

À l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, assis seul au bar du Casey's, je suis brun. Brun comme dans brumeux, troublé, confus. Va me falloir faire du sérieux ménage dans le lot de petites surprises, de grandes émotions et de plates constatations... Par où on commence?

Y'a les routes de Montréal qui, étonnamment, avec le temps, sont devenues presque aussi belles que celles d'Oulan-Bator, en Mongolie. Suggestion à la Ville: là-bas, dans les nids-de-poule, vivent des familles entières de sans-abri. D

Déception: je croyais que l'édifice du Colossus à Laval, au bord de la 15, était un vrai ovni; malheureusement, j'ai constaté qu'il n'avait pas encore décollé...

Le cipâte de maman demeure encore le mets que je préfère. En deuxième place: sa sauce aux boulettes; hier soir, j'ai dû en manger 10 assiettes! Troisième place? La tom yam, une soupe de fruits de mer à la citronnelle de Thaïlande. Et au dernier rang? Du Madagascar, la queue de zébu à la menthe (la menthe n'y est pour rien: j'ignorais qu'on parlait de cette queue-là). Parlant de queue, quand je me suis retrouvé devant l'affiche de La Calèche du Sexe, rue Sainte-Catherine, j'ai eu une petite gêne; j'ai enfin saisi le mauvais jeu de mots... Et j'ignore si c'est à cause de mes séjours prolongés en contrées austères, mais d'une façon générale, j'ai trouvé la Sainte-Catherine d'une vulgarité assez remarquable. Sainte? Ha! La rue du c..., oui.

Sinon, c'est l'fun la télé au Québec, hein? Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a des émissions entre les publicités. Des pas mal bonnes à part ça (Minuit le soir, wow!). La pléthore de pubs m'aura tout de même permis de connaître plein de nouveaux produits, dont la camionnette qui est aussi une salle de jeux, une chambre à coucher et neuf ans de loyer, et mon préféré, le bâton de désodorisant invisible. Je m'en suis acheté un.

Je ne le trouve plus.

Dans le même ordre d'idée, j'ai rencontré, au coin d'Amherst et de Maisonneuve, «Big old Patrick G. du J.», toujours intense, qui m'a demandé:

«Bruno, après avoir visité 32 pays, as-tu trouvé ce que tu cherchais?

– Euh...

– As-tu trouvé la paix intérieure, la recette du bonheur? La preuve de l'existence de Dieu?

– Non... J'ai eu assez de trouble à me trouver une chambre d'hôtel certains soirs, ça fait que...

– Mais dans ta quête d'absolu, est-ce que tu t'es trouvé, toi, Bruno Blanchet?»

Hum! La question à un million. On se cherche toujours un peu dans la vie, n'est-ce pas? Et a-t-on vraiment besoin d'aller en voyage pour ça? J'ai quand même posé la question à mon ami John R., de Wimbledon, philosophe et globe-trotter insatiable, qui m'a répondu ceci: «Si tu dois te trouver toi-même, dans l'effort, peut-être devras-tu d'abord trouver qui tu n'es pas; et en ce sens, le voyage est extraordinaire: il te permet de comprendre que tu es peut-être celui que tu croyais ne pas être. Et ensuite de réaliser, à ta grande stupéfaction, que le mec assis derrière toi, avec la peau brune, la casquette jaune et le t-shirt Nike, c'est toi.»

Ciao, Pat. Embrasse Suzanne.

* * *

«Je repars en Afrique, Chantal.

– Encore?»

Yes sir, madame. Le continent que je craignais tant, avant mon départ, et qui, maintenant, est devenu mon chouchou. Il y a quatre ans, lorsque j'avais rencontré Julien, de l'agence Explorateur, pour préparer mon périple, il m'avait décrit l'Afrique avec un feu de brousse dans les yeux. Mais sa belle fougue ne m'avait pas convaincu: pour moi, l'Afrique, c'était un endroit ou les gens t'attendent à l'aéroport avec une machette et un sac de poubelle.

«Ça me tente pas, Julien.

– Bruno! Imagine que tu arrives dans un village masaï, au milieu du désert, et que le chef sorte de sa hutte pour venir te serrer la main, en criant: «Salut, Julien!» C'est fabuleux, non?»

Oui, Julien, c'est fabuleux. Tu avais raison. Sauf qu'à moi, le chef, il dit : «Salut, Bruno.»

Et c'est presque aussi beau.