Si j'en crois vos courriels, j'aurais un peu expédié le Liban. Vous avez raison. Mais sans chercher d'excuses, je dois vous confier que j'avais l'impression de marcher sur des oeufs, en écrivant sur ce joli petit pays aux prises avec des conflits qui n'en finissent plus de finir.

En toute honnêteté, je ne me trouve pas les compétences journalistiques nécessaires pour vous décrire ce qui s'y passe. Par exemple, comment vous expliquez le Liban en omettant les combats de Nahr El-Bared qui minent le quotidien des gens? En ne vous parlant pas des plaies encore vives de la guerre avec Israël d'il y a un an? Ou du désespoir des réfugiés palestiniens?

Je vous propose trois tableaux. Vous les éclairez comme vous voulez.

* * *

Un matin, je rentre à Tripoli avec le propriétaire de l'hôtel où je séjournais à Bcharre, qui m'a proposé de m'y amener gratuitement.

Dans la voiture, il allume la radio. Il me demande de me taire un instant. Avant d'entrer en ville, il veut écouter le bulletin de guerre, aux nouvelles. Comme on écoute la météo, à la maison, ou le bulletin de la circulation...

«Aujourd'hui, risque moyen de se faire tirer dessus par un fusil mitrailleur, dans le secteur des rues Sharia al-Fouad et Al Ain-Mreisse. Éviter le rond-point Rahd Sakh, où un cratère causé par l'explosion d'un obus ralentit considérablement la circulation et facilite le travail des snipers... 8 h 30, 32 degrés à l'extérieur, merci d'être fidèle à BOUM radio, qui vous rappelle de boucler votre ceinture et ne pas utiliser votre téléphone au volant.»

Il éteint la radio. D'instinct, je lui demande s'il n'aurait pas, parfois, envie de partir d'ici. Il me raconte qu'il y a 20 ans, le consul américain, un ami, lui avait suggéré de faire la demande d'une carte verte US. Il aurait pu lui procurer sans problème.

«Tout l'or du monde ne vaut pas la terre des cèdres!», lui aurait répondu Said, en déclinant l'offre.

- Et aujourd'hui?, je lui demande.

- Je partirais sur le champ.

* * *

J'ai rencontré de nombreux Palestiniens. Sympathiques vendeurs de café au bord de l'autoroute, ramancheurs de voitures pourries, ramasseux de bouts de métal ou de ficelles... Nombreux sont ceux qui vivent dans des conditions misérables. Je peux vous le confirmer: j'ai vu dans les camps des cabanes de tôles dignes des plus scabreux villages d'Afrique. Comment s'en sortir? Il y a une liste de 70 métiers qu'ils ne peuvent exercer. Ça va de médecin, avocat, notaire et professeur. Ils sont des réfugiés, des sans-papiers, certains depuis 1948.

- Vous voulez partir?, leur ai-je demandé.

- Pour allez où?, m'ont-ils répondu en choeur.

- En Syrie? En Jordanie? Au... Canada?

- Personne ne veut de nous.

* * *

À Beyrouth, le propriétaire du dépanneur-resto Matalya, Nasser, un beau monsieur de 70 ans qui prépare des sandwichs délicieux, tient boutique depuis 50 ans. Il est demeuré fidèle à son quartier de Hamra, à travers toutes les batailles dans la capitale. Aujourd'hui, il emploie des Palestiniens et accueille chaque jour des gens de tous les horizons. À son dépanneur, on s'entasse dès le petit matin autour de la caisse, sur des chaises de fortune et on profite de l'air climatisé. Et de l'hospitalité du bon monsieur.

- Ma porte n'est fermée pour personne, clame-t-il.

- Vous ne voulez pas partir?

- Jamais. Le Liban est mon pays. Notre pays. Faudra simplement arrêter de se battre et finir par comprendre que nous sommes tous Arabes. Tous frères.

* * *

Aujourd'hui, je suis en Jordanie. Le seul pays de la région qui reconnaît Israël, la Jordanie diffère pourtant peu du reste du Proche-Orient: on y parle l'arabe, on y est accueillant et on y paye cher l'eau.

La Jordanie est un des pays les moins bien.

J'irai visiter Pétra, bien entendu, une des nouvelles sept merveilles du monde, comme vous l'avez sûrement déjà lu.

Je peux en ajouter une à la liste, si ça vous dérange pas?

Le peuple du Liban.

Salut Georges. Embrasse Madone.