Dans le désert brûlant de Californie, des conversations en français résonnent dans un petit restaurant: au bord de la Route 66, le Bagdad Café, lieu du tournage du film éponyme, doit sa survie à l'afflux de touristes venus de l'Hexagone.

«Si on ne le fait pas, il manque quelque chose au voyage sur la Route 66», explique Sandrine Arnaud, une touriste française qui vient de déjeuner au Bagdad Café avant de repartir avec son mari Guy sur une Harley-Davidson de location.

«Ça fait 15 fois que je viens, et à chaque fois, il y a des Français», constate Paolo Gariboldi, de l'agence de voyages française Aiskep, qui propose à ses clients une traversée des États-Unis à moto sur la Route 66, mythique voie reliant Chicago à Santa Monica sur 4000 km.

Changement de nom

«Les Français représentent environ 70 % de la clientèle», affirme la propriétaire du Bagdad Café, Andrée Pruett. «J'adore les Européens, ce sont eux qui m'ont permis de tenir», dit-elle en souriant, assise sur une banquette de moleskine de cette gargote qui ne semble pas avoir changé de décor depuis un demi-siècle.

C'est fin 1995 que Mme Pruett et son mari achètent sur un coup de coeur l'établissement, alors baptisé «Sidewinder Café», à Newberry Springs, à 200 km au nord-est de Los Angeles. «La première chose que j'ai faite, le jour même où j'en ai pris possession, a été de le rebaptiser», explique Mme Pruett.

L'idée était de profiter de la renommée du nom Bagdad Café, film de l'Allemand Percy Adlon, sorti sept ans plus tôt. Mais «il a fallu se battre» pour attirer les touristes, se rappelle Mme Pruett, 67 ans.

Le populaire Guide du Routard français lui a donné un coup de pouce en plaçant le Bagdad Café dans son numéro de 1997, mais en 2002, alors que le ton montait entre Paris et Washington sur une intervention militaire en Irak, «les Français ne sont pas venus (...), j'ai failli couler, j'ai dû vendre des terrains pour me maintenir à flots», se souvient-elle.

Depuis, les Français ont recommencé à venir en masse, alors que les États-Unis devenaient de plus en plus abordables en raison de la spectaculaire dépréciation du dollar par rapport à l'euro.

Mythe

Témoin du passage d'innombrables Français, les murs du Bagdad Café sont tapissés de petits mots, cartes de visite et T-shirts, tandis qu'un brassard tricolore trône au dessus de la porte d'entrée. À force de fréquenter ces touristes, Mme Pruett a fini par apprendre des rudiments de la langue: «Voulez-vous prendre une photo?» demande-t-elle, presque sans accent.

Sorti en 1988, Bagdad Café, l'histoire «atmosphérique» d'une touriste allemande dont l'arrivée dans le restaurant en bouleverse le quotidien, a remporté un gros succès populaire en France, recevant l'année suivante le César du film étranger. Sa chanson emblématique, Calling you, s'est hissée aux sommets du Top 50.

«C'est un truc mythique de la Route 66», assure Manuelo Azzola, motard français qui vient de s'offrir deux semaines de vacances en Harley avec son épouse Catherine. Seul regret, «on cherchait le château d'eau, on ne l'a pas trouvé», dit-il.

En fait, la citerne que l'on voit sur l'affiche du film est tombée pendant son transport et se trouve quelques centaines de mètres derrière le Bagdad Café, en attente d'être remontée sur son socle, indique Mme Pruett, alors qu'un gros bus vient de s'arrêter devant le restaurant.