Malaaaaaaaade! À la suite de ma rumba à Metema, j'ai traversé le Nord-Ouest éthiopien dans le froid et sous la pluie, je suis débarqué à Addis avec la grippe de la mort, et je suis resté cloué au lit pendant sept jours, incapable de m'amuser, même; ce qui est signe, en Éthiopie, de réelle indisposition.

Et à cause de la grisaille insistante qui ne voulait pas du tout collaborer à ma remise sur pied, le seul remède auquel je pouvais songer — «le soleil dans un endroit tranquille» — s'est d'abord imposé, doucement. Puis, c'est devenu une idée fixe: le Sud-Soudan (où il pleuvait aussi) peut attendre, je pars me bronzer la couenne, et au Yémen à part ça, où il me sera difficile de faire autre chose que de récupérer: pas de boîte de nuit, pas de bikini et aucune distraction à part la télé câblée.

En plus, ça tombe pile en plein dans le ramadan... La totale!

Vous dire le nombre de fois où j'ai lu qu'il fallait s'abstenir de voyager en pays musulman durant cette période austère... On va enfin en avoir le coeur net.

* * *

Tradition oblige, et question de me mettre dans l'esprit du temps des Fêtes (version «remix islamique»), je décide de ne pas me soustraire au jeûne que pratiquent les musulmans pendant le mois du ramadan. Comme eux, je ne mangerai rien, ni ne boirai quoi que ce soit (pas même de l'eau) entre le lever et le coucher du soleil. Et pour moi, ça commencera dans l'avion, aussitôt quitté le sol africain.

Le matin du départ, au Itegue Taitu (le plus beau et le plus vieil hôtel d'Addis), je prends donc un immense déjeuner (steak, oeufs et patates frites), prévoyant que la faim me tenaillerait bien avant le soir, dans plus de 10 heures...

Erreur! Ça n'a pas pris quatre heures. Sitôt l'avion décollé, l'agente de bord est passée avec des boissons gazeuses et des arachides. J'ai décliné l'offre, «non merci, Madame, je musulman», mais mon voisin de siège, lui, ne s'est pas fait prier. Et rien que le bruit de la canette de Sprite qu'il a dégoupillée, le classique pschiiit! , m'a tellement fait saliver, si vous saviez... Pschiiit!, et tout à coup, j'avais une soif de chameau; j'aurais bu son Sprite, un café, un thé, un jus de mangue frais, un pastis, n'importe quoi, même mixé avec l'eau des toilettes. Et de le voir ensuite, le sans-coeur, soulever sa canette mouillée et la porter à ses lèvres... C'en était trop! Assoiffé, je lui ai tourné le dos et je me suis collé le front dans le hublot; mon plan de désespéré était de mirer dehors les beaux paysages, en essayant d'y semer ma sécheresse... Ha! Dehors, alors qu'on survole Djibouti, c'est... le f#&$# désert! Et au loin, la vue de la mer Rouge, vous croyez que ça fait du bien? Re-ha!

La mer Rouge, c'est de l'eau (eau-oasis-O'Keefe...). Et loin de m'aider à traverser l'épreuve, la «torrieuse» de mer Rouge (rouge, des fraises, un shortcake, miam...), elle me rappelle le sel, le goût du sel, le sel sur les noix que mon voisin est en train de croquer à pleines dents... Crouch, crouch, crouch, les arachides! Et glouglou glou, le Sprite!

(...)

Ainsi furent donc mes 30 premières secondes de ramadan. Et aujourd'hui, j'ai le drôle de feeling que le reste (à peu près deux semaines) ne sera pas facile à gérer, même si la mathématique du problème est plutôt simple: il s'agit qu'on vous prive de quelque chose pour que vous en ayez envie plus que jamais. Or, si je veux tenir, il va me falloir trouver un truc afin d'arrêter de tout associer à la bouffe: un truc avec un T majuscule, comme dans Tcheez-whizz. 

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L'arrivée à Sanaa ne fut rien de moins qu'une révélation. En plein milieu de l'après-midi, les rues étaient presque désertes, les trois quarts des magasins fermés et les restaurants et leurs volets tirés; il y avait jusqu'aux vendeurs de qat, d'habitude omniprésents dans le quartier de Tahrier, qui se faisaient rares et extrêmement discrets. Kapisch? Le jour, la vie se met à PAUSE.

Voila comment ils font pour résister à la tentation! Je les soupçonne même d'être encore couchés, mes Yémenis chéris...

Dieu que j'ai hâte à la nuit.