Une chambre d'hôtel propre, avec lit double confortable, salle de bain privée (savonnette, serviette, et eau chaude 24 heures), télé satellite et petit déjeuner, pour... dix dollars? Alhan wa salhan, bienvenue en Syrie!

Si vous voyagez à budget, la Syrie soulagera votre porte-monnaie, surtout si vous arrivez de Turquie, où les prix sont parfois comparables à ceux de l'Europe. Et vous serez en mesure de profiter du discount pour faire du «gros tourisme» : au diable les autobus bondés et les attentes interminables sous un soleil de plomb!

Avec des amis voyageurs ou seul, vous pourrez louer une voiture taxi, à 40 dollars pour la journée, avec chauffeur personnel et itinéraire personnalisé; et, grâce au prix dérisoire de l'essence (je ne vous le dis pas, vous commenceriez la journée de mauvaise humeur), on vous consentira en prime un kilométrage illimité. De plus, pour les étudiants, les avantages sont nombreux et stupéfiants: par exemple, un billet de musée à 150 liras (3 dollars), sur présentation de votre carte étudiante, ne vous coûtera plus que 10 liras...

À l'hôtel, le réceptionniste me conseille un chauffeur du nom de Mohammed.

- Il est gentil. Et il a une bonne voiture.

- Merci.

Je loue donc les services du gentil Mohammed et, à bord de sa super Lada jaune 1978, vroum! nous décollons. Elle est effectivement en bonne condition, sa minoune. À part que les vitres, une fois descendues, ne remontent plus, qu'il y a un trou de balle dans le pare-brise, que le pare-chocs arrière est dans le coffre attaché avec de la broche, et que, à chaque fois qu'on tourne à gauche, ma portière s'ouvre. Je passe à un cheveu de tomber.

Détails!

Mohammed me dit d'attacher ma ceinture. Je cherche.

- Mais... il n'y a pas de ceinture.

Mohammed rit. C'était une blague arabe.

Vue de la route, la campagne de Syrie est peu impressionnante : on dirait une terre aride, un endroit poussiéreux dépourvu de distractions, où les collines, qui finissent par toutes se ressembler, me feraient tomber dans un sommeil profond, si ce n'était de ma crainte de tomber aussi dans le trou au plancher, à mes pieds.

Puis, tranquillement, de façon presque subtile, les paysages changent, et les cultures aussi. Des oliviers, des figuiers, des cerisiers.

- Et ça, qu'est-ce que c'est?

Mohammed stoppe la voiture.

- Ça? Ce sont des pistachiers.

- Hein? J'ignorais que les pistaches poussaient dans les arbres.

- Où croyais-tu qu'elles poussaient?

- Euh...Au Provigo?

Et durant trois jours, ce que j'en apprendrai, des choses...Saviez-vous que la Syrie a été un des théâtres importants de la naissance de la civilisation moderne? Pendant la période néolithique, on a vu ici l'avènement de l'agriculture, de la domestication des animaux et l'établissement des premiers villages de l'humanité. Rien de moins!

Nous sommes TOUS du Proche-Orient.

Et en 72 heures, ce que j'en verrai, des ruines... Apamea, Palmyre, la citadelle d'Alep, les villes mortes de Serjilla et Al-Bara, les nombreux châteaux (dont le fantastique Crac des Chevaliers) et les jardins, et les musées archéologiques, alouette. À la fin, honnêtement, je n'arrivais plus à apprécier.

«Quoi? Encore des poteries!»

Et je me suis mis à parodier Bérurier Noir en chantant «Po-terie!» et à rigoler, en pensant que, un jour, dans deux millions d'années, on découvrira peut-être trois bungalows de Rosemère sous 20 mètres de glace, et que les visiteurs se presseront alors devant une vitrine contenant la momie de Stéphane Richer, et la collection complète de bibelots de canards de madame Allard; qu'une cassette vidéo retrouvée sous l'eau à New York sera peut-être l'unique document audiovisuel témoignant du passé de l'humanité, et que, après le mystère des pyramides, viendra le mystère du Docteur Doogie.

Et j'ai décroché.

- Allo, Syrie?

- Allo, Bruno.

- Ma chérie, on va prendre un break, ok?

- Un break?!? Pourquoi? Tu m'aimes plus?

- Mais oui je t'aime, mais j'ai besoin de prendre l'air. J'ai besoin de changement.

- Tu m'aimes, mais t'es plus amoureux...

- Mais non, Syrie! C'est rien que, des fois, avant de se décevoir, on est peut-être mieux d'aller voir ailleurs...

- Pfff...Les gros touristes! Vous êtes donc tous pareils.

- Je te promets de revenir dans deux semaines pour visiter Damas et Bosra.

- Mais oui, me semble... Et comment elle s'appelle, ta nouvelle flamme?

- Elle s'appelle Beyrouth. Et c'est rien qu'une amie, je te jure.

- J'ai hâte de voir ça...

- Moi aussi.