Pourquoi? Je sais pas. Lorsque j'ai vu, sur la carte du Moyen-Orient, que la côte méditerranéenne au Liban, du nord au sud, faisait moins de 200 km, je me suis dit: «Brune ma grosse Brune, voici peut-être une excellente occasion de perdre tes quelques livres en trop, de prendre du bon gros soleil et de ralentir le rythme effréné de ton existence.»

Et d'être heureux. Parce que, ma chère, j'adooore marcher. Pour me détendre, j'aime bien le vélo et le patin à roues alignées, mais ça va encore trop vite. Il y a quelque chose de magnifiquement désuet dans le déplacement à pied. À la vitesse où vont les choses, quand vous marchez au bord d'une autoroute, à six kilomètres-heure, vous devenez d'une inutilité... formidable. C'est pas ça, des vacances?

Pendant toute une journée, entre Beyrouth et Saida, j'ai carrément cessé d'exister. Je n'apparaissais sur aucun radar. J'étais un Stealth en gougounes.

J'ai erré. Parcouru des villages où il n'y a ni hôtel, ni visiteur, surpris des habitants dans leur quotidien ordinaire. C'était d'une infinie platitude. Un mardi. Durant une semaine, j'allais avec l'idée de ne vivre absolument rien d'extraordinaire. Il fait chaud? Tu te jettes à la mer. Aaaah! Ne profiter que du bonheur de renouer avec les «petites choses». Mon petit moi, avec mon petit sac, qui fait des petits pas. En chantant des chansons d'autobus primaire. «Trois petits chats, trois petits chats, trois petits chats, chats, chats...» (c'est quoi après? «Dentifrice»?)

Mais, j'ai rapidement du me rendre à l'évidence: ce n'est pas parce qu'on avance lentement, qu'il ne se passe rien.

Une subtile douleur au talon, lorsque ignorée à sept heures du matin, vous résonnera dans le coccyx à l'heure du lunch. En aucun cas vous n'avez le droit de mépriser ces 800 grammes de trop dans le sac à dos, qui en pèseront cinq fois plus à la fin de la journée.

Puis, un matin, j'ai été arrêté par l'armée et soupçonné d'espionnage. Je prenais note de vous parler «du bleu du ciel». Un soldat a accouru. Il a voulu voir ce que j'écrivais. Il a feuilleté très sérieusement mon cahier double interlignes rose de bébé, avec dessus un clown qui mange un cornet de crème glacée.

Le midi, j'ai entendu des coups de canons. J'ai tourné à gauche.

J'ai visité la dernière forêt de cèdres du Liban. Il en reste à peu près 160. Un peu déprimant? Mais le village de Bcharre est ravissant.

Deux fois, j'ai passé des heures à essayer de sortir de la tentaculaire Beyrouth, dont la banlieue semble s'étirer pour toujours au nord et au sud sur un gros boulevard Labelle, loin de la mer, où se succèdent les concessionnaires de voitures, les motels, les shops et les restos de fast-food. Choc cultuel au Dunkin Donuts : ils mettent des olives et des cornichons dans le croissant petit déjeuner oeuf-jambon-fromage.

J'ai traversé un camp de réfugiés palestiniens. On m'a souri. Personne ne m'a mordu.

Jeudi à Jounieh. Les restaurants en bordure de mer abondent, les jeunes se baladent en maillot sur l'artère commerciale. Il règne ici un climat détendu que je n'aurais jamais imaginé possible au pays du Cèdre.

À la plage, je me commande une Rex (la bière qui a du chien!), je me déshabille et me lance à l'eau. Ce qu'elle est bonne...L'eau! Pas la Rex. Une bière trop forte, probablement brassée au chenil.

Moment de détente qui sera troublé par un bruyant rappel à la réalité. Venant du sud, un escadron d'hélicoptères verts nous passe à 500 mètres au-dessus de la tête, en route vers Tripoli.

Tout au sud, j'ai vu Tyr. Et au loin, Israël.

L'avant-dernière nuit, dans le bain tourbillon d'une chambre d'hôtel super chic, offerte au tiers du prix, je me suis senti un peu seul. En cinq jours on the road, je n'ai pas rencontré un autre touriste. Et je n'ai pas encore trouvé ce qui vient après «dentifrice».

Le dernier matin, j'ai mal partout sauf aux cheveux.

Je rentre à Beyrouth. Je m'installe à l'ordinateur. J'ai traversé le Liban à pied et je sais toujours pas pourquoi. Mais c'est pas grave...

Ça fera peut-être un bon titre pour une chronique.