Les aliments parcourent en moyenne plus de 2500 km du champ jusqu'à l'assiette des Québécois. À peine le tiers de ce que nous mangeons provient de notre province, comparativement à 78% il y a 25 ans.

Et beaucoup de nourriture est gaspillée: de 40% à 50% de ce qui est produit, transformé et distribué en Amérique du Nord se perd.

Ces données, à couper l'appétit, sont tirées de la nouvelle édition augmentée de L'envers de l'assiette, de Laure Waridel. L'essai, qui décortique nos habitudes alimentaires et nous en montre les conséquences, a d'abord paru en 1998.

«Beaucoup de choses ont changé depuis: les choix responsables sont aujourd'hui plus accessibles, se réjouit l'écosociologue, rencontrée dans un Presse Café. Je ne m'attendais pas à trouver du café équitable ici, mais ils en ont!»

Les marchés publics se multiplient, les produits du terroir ont la cote, plus de 30 000 Québécois ont un fermier de famille qui leur fournit des produits biologiques. «Mais ce n'est pas suffisant, déplore Mme Waridel. Trop de produits nocifs pour la santé et l'environnement occupent des pans entiers des épiceries.»

Acheter des aliments locaux et biologiques

Sa recette: miser sur les «3N-J» (nu, non loin, naturel et juste) quand on fait ses emplettes. «Nu», c'est-à-dire sans emballage, par exemple en vrac, sachant que l'on fabrique aujourd'hui 80% plus d'emballages qu'en 1960. «Non loin», c'est favoriser l'achat local. Si, chaque semaine, chaque famille québécoise remplaçait pour 20$ de biens importés par des produits d'ici, plus de 100 000 emplois pourraient être créés, fait-elle valoir.

«Naturel», c'est sans pesticides, antibiotiques ni hormones, donc biologique. Ne serait-ce que pour le salut des fermiers. «Allez à la campagne, parlez aux agriculteurs, plusieurs ont le parkinson ou le cancer», dit Mme Waridel. Enfin, acheter «juste», c'est préférer les produits équitables, pour ne pas que «l'exploitation des travailleurs d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie subventionne notre panier de provisions», lit-on dans l'essai.

«Presque une personne sur six a faim dans le monde, rappelle la jeune femme en écarquillant ses yeux bleus, émue. Il n'y a pas un manque de nourriture, mais un manque de justice. Il faut recréer un système alimentaire dont l'objectif premier est de nourrir les gens, pas le marché spéculatif.»

Laisser les vaches aller dehors

Un trop vaste menu? «Le message clé, c'est de réaliser à quel point on a plus de pouvoir qu'on le pense comme consommateur, souligne-t-elle. Ça commence avec un petit geste, comme prendre un sac réutilisable ou faire du recyclage. Une fois qu'on a changé nos habitudes, ça va de soi.»

Installée en Suisse avec sa famille pour faire un doctorat à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, Mme Waridel voit que des changements politiques sont aussi nécessaires. «En Suisse, les vaches laitières vont dehors même en hiver, indique-t-elle. Si le ministère de l'Agriculture du Québec (MAPAQ) disait que le bien-être des animaux est important ici aussi, on changerait.»

Son propre père, Alexis Waridel, a dû vendre sa douzaine de vaches à la fin de l'automne. Il n'en avait pas assez, selon les nouveaux critères de la Financière agricole du Québec, mais n'en souhaitait pas plus. «Mon père faisait la vente directe de veaux, il nourrissait de manière saine les familles qu'il approvisionnait, dit sa fille. Beaucoup de gens seraient prêts à faire de l'agriculture à petite échelle, mais ils ne sont pas soutenus.»

Porte-parole scientifique de l'expo Manger santé et vivre vert, qui a lieu à compter d'aujourd'hui au Palais des congrès de Montréal, Mme Waridel y donnera d'autres pistes pour redonner bon goût à nos assiettes.