Il mesure les distances en milles marins et il n'a pas froid aux yeux. Capitaine d'un brise-glace de la Garde côtière canadienne, Sylvain Bertrand passe ses hivers sur le Saint-Laurent, et ses étés dans l'Arctique. Rencontre avec un gars qui se les gèle à longueur d'année depuis 37 ans.

Dans le temps de nos grands-parents, le fleuve gelé formait une grande patinoire entre Montréal et Québec durant l'hiver. La circulation était fermée aux bateaux. Depuis quand le fleuve est-il accessible toute l'année?

Depuis les années 1960. À l'époque, une vingtaine de bateaux sont restés pris dans la voie maritime, à cause d'un hiver prématuré. Le gouvernement canadien a dû envoyer des brise-glaces pour les libérer et les escorter. C'est ainsi qu'ils ont réalisé que la voie maritime pouvait être ouverte à longueur d'année!

Qu'est-ce que ça fait, un brise-glace, exactement?

C'est un bateau qui permet d'ouvrir les voies de navigation pour les autres navires, grâce à des couteaux à glace. L'hiver, il est basé dans un port et est toujours prêt à partir au besoin et porter assistance aux bateaux pris dans la glace. Il est aussi là pour contrôler les inondations le long du fleuve et effectuer des opérations de sauvetage si nécessaire.

Que fait un capitaine de bateau quand il a besoin de votre aide?

Il téléphone au Bureau des glaces, situé à Québec. Il nous transmet l'heure d'arrivée et on va l'aider.

Pouvez-vous nous raconter un sauvetage mémorable?

Une fois, j'ai sauvé un bateau qui était pris dans un embâcle. On était tellement convaincu qu'il allait couler qu'on a évacué le matériel et l'équipage. On a quand même fini par le déprendre le lendemain. À la fin de l'opération, le capitaine m'a pleuré dans les bras! Pour un propriétaire, son embarcation, c'est toute sa vie.

Combien de temps ça peut prendre pour briser les glaces?

Ça nous a déjà pris 23 jours pour casser un embâcle dans le coin de Trois-RIvières! Mais, en général, la job est faite en deux heures.

Peut-on dire que c'est dangereux sur le Saint-Laurent, l'hiver?

Oui, très. Le fleuve est l'un des plans d'eau les plus difficiles à naviguer au monde, à cause des marées et de la glace. C'est facile de rester pris. Dans l'Arctique, c'est aussi dangereux à cause des icebergs. En tant que capitaine, il faut travailler avec la nature, ne pas se battre contre les éléments.

Vous, êtes-vous déjà resté pris dans la glace, avec votre bateau?

Oui, à cause de la pression. Dans ce temps-là, je dois attendre! Mais j'essaie de faire en sorte que ça ne m'arrive pas : ça fait mal à l'orgueil!

Combien y a-t-il de brise-glaces au Québec?

Trois, avec deux capitaines par bateau. On travaille au Québec d'octobre à juin et, ensuite, on s'en va en Arctique.

Qu'allez-vous faire là-bas?

L'été, je participe à la mission Eureka pour ravitailler la station météorologique sur l'Île d'Ellesmere, dans le territoire du Nunavut. En Arctique, on voit des choses que personne d'autre ne voit. Les paysages grandioses - extrêmement beaux -, la température l'été, tellement belle... Avec l'équipage, on pêche, on s'organise des BBQ, parfois on se baigne. Une fois, on a même adopté un iceberg... mais on ne l'a jamais revu!

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