Il est rare au Québec qu'un chef atteigne le statut de rockstar comme l'a fait Martin Picard - on parle ici de vrais chefs et non d'animateurs de shows de cuisine. C'est peut-être que, avec ses recettes charnues, celui qui n'a pas peur de faire déboutonner le pantalon de ses convives a su toucher une corde sensible des gens d'ici. Épicurien, fier Québécois et chef-propriétaire du restaurant Au Pied de cochon, le truculent héritier des premiers cuistots du pays a accepté de divulguer ses opinions tranchées sur la cuisine québécoise.

Martin, tu es célèbre pour ta poutine au foie gras et le haut taux de cholestérol que tu causes après une visite à ton restaurant. Comment qualifierais-tu ta cuisine?

Je cuisine ce que j'aime manger! J'essaie de revisiter des recettes appartenant aux générations précédentes et de travailler avec les produits d'ici. Je m'approprie des plats sans les dénaturer. L'important, c'est d'avoir du plaisir.

La continuité et la tradition dans la gastronomie, qu'est-ce que ça représente pour toi?

C'est essentiel. Même si on est extraordinairement jeune comme peuple, on a des racines intéressantes. Plusieurs autres chefs québécois s'intéressent aussi au passé, car il ne faut jamais oublier que les meilleurs plats, c'est à la maison qu'on les a mangés en premier.

Selon toi, les Québécois sont-ils de bons cuisiniers?

Oui et non. Les Québécois cuisinent mieux que jamais, mais de moins en moins fréquemment. Ils ont la technique, mais pas la pratique. Nos mères et nos grands-mères arrivaient à des résultats extraordinaires lorsqu'elles cuisinaient. Elles n'avaient pas le choix avec leurs huit enfants et leur homme! T'as beau être pas très bon dans quelque chose, avec la pratique, tu finis par être moins mauvais! Mais à table, nous sommes de bons vivants : de bons mangeurs et bons buveurs. On se permet de parler fort, d'être fâchés et de rire : « On n'a pas le trou du cul serré »! Les Québécois sont des jouissifs, on aime ressentir des émotions. Le plaisir, c'est en nous.

Peut-on vraiment dire qu'il existe une cuisine québécoise?

Elle commence à se définir et je trouve ça important d'ajouter notre petit grain de sable dans le désert. J'ai beaucoup de respect pour les gens qui ont transmis l'amour de la nourriture. Avec l'Expo 67, les Français sont débarqués et ont maquillé notre bouffe. Mais en enlevant le make-up, on se rend compte qu'on est finalement plus proche de la cuisine irlandaise que française. Il y a aussi eu des influences italiennes et ensuite japonaises avec l'invasion des sushis, mais les modes passent et les vraies cuisines restent.

Qu'est-ce qui est typique de la cuisine québécoise?

La générosité des plats et les tables bien remplies. On jouait traditionnellement avec trois épices : la sarriette, le clou de girofle et la cannelle. On a évolué, mais on a toujours aimé les goûts francs proches de la matière brute. Mais en même temps, on raffole de la sauce. Dans le temps, tu ne voyais pas de plat sans, il fallait tout le temps saucer son pain.

Depuis les 20 dernières années, il y a des gens qui ont décidé de bien manger et de s'intéresser aux produits qu'ils consomment. Par chance, il existe des artisans d'ici qui développent des produits et des saveurs exclusives, même si ce n'est souvent pas rentable. Ces artisans travaillent avec les ingrédients qu'on peut trouver ici. Par exemple, avec la pomme, on fait de l'alcool comme le cidre, ou le cidre de glace qui est un produit exceptionnel, inventé au Québec. Il faut s'approprier nos produits et les développer pour rappeller au monde entier que la gastronomie québécoise existe, même si elle est jeune. Il faut être capable de se regrouper et d'avancer. Ça vaut la peine de le faire pour les générations à venir et pour remercier les générations passées.

En terminant, que penses-tu de la cuisine fusion?

Pour moi, c'est sans intérêt. La seule chose que je vois là-dedans, c'est qu'on est dans un mouvement de mondialisation, alors on unifie tout. Peu importe où tu vas dans le monde, tout se ressemble. C'est assez triste. On s'inspire de n'importe quoi, de ce qui vient de n'importe où, et puis on oublie qu'on a une personnalité et qu'on est pas obligé de cuisiner comme les autres. On peut s'inspirer d'ailleurs, mais il faut rester soi-même.