Dans la file d'attente, entre les murs tapissés de gommes et de «I love Jonathan 92», on s'est tous déjà demandé comment le Monstre avait été construit, comment il faisait pour résister au temps et aux intempéries. À l'occasion de son 25e anniversaire, demain, retour sur la spectaculaire histoire de notre géant de bois.

C'était au début des années 80, en pleine récession. À l'époque, les choses allaient de mal en pis dans l'île Sainte-Hélène: les pavillons de l'Expo fermaient les uns après les autres, faute de rentabilité. Dans la tempête, un seul d'entre eux a tenu le coup: La Ronde, qui accueillait plus d'un million de visiteurs chaque année.

«C'était le seul endroit viable de l'île», explique Guy Tringle, ancien directeur de La Ronde. «La Ville de Montréal a donc décidé d'y investir d'importantes sommes d'argent pour augmenter l'affluence et, ainsi, sauver l'île Sainte-Hélène.»

En ce temps-là, La Ronde comptait déjà plusieurs manèges, comme le Boomerang, le Super Manège ou encore la Grande roue. Pour attirer davantage de curieux, il fallait trouver une idée spectaculaire. C'est alors que Guy Tringle a eu un coup de génie.

«Chaque année, je faisais le tour des parcs d'attractions partout dans le monde, et tous les parcs qui se respectaient avaient une montagne russe en bois. Il y avait un réel engouement pour ce genre d'installation, raconte-t-il. J'ai compris que c'était la solution. J'allais en faire construire une... à deux voies!»

Du rêve à la (dure) réalité

Pour imaginer la bête, M. Tringle a fait appel aux ingénieurs américains William L. Bill Cobb et John Pierce, deux des plus importants concepteurs de montagnes russes de l'époque. «Je leur ai donné les dimensions du terrain, et ils ont travaillé à partir de ça. Quelques mois plus tard, ils me sont revenus avec une esquisse en couleur.» Le Monstre était né.

En 1983, lorsque les travaux de construction du manège ont débuté, les responsables du chantier ont rapidement été confrontés à un problème de taille: le manque d'espace. «Il a fallu récupérer une partie du terrain de la marina de l'île Sainte-Hélène, explique un ancien chef de section du Monstre. Ensuite, on l'a remblayé avec de la pierre, de la terre, de la brique... tout ce qu'on pouvait trouver! Mais ce n'était pas suffisant. Donc, on a démoli le Gyrotron, un manège qui était très populaire à l'époque.»

Une fois le terrain prêt, les employés ont coulé une forêt de fondations en béton. Ne restait plus qu'à assembler les morceaux: un million de planches de bois.

En voulez-vous, du bois?

En dessous du pont Jacques-Cartier, on a érigé l'atelier l'Express, où les ouvriers recevaient chaque jour le bois nécessaire à la construction du Monstre. «Ça arrivait à un rythme infernal! se souvient le chef de section. En tout, on a reçu une cinquantaine de trains de bois.»

Une équipe de menuisiers s'assurait de transformer le bois en planches, selon les plans fournis par les ingénieurs Cobb et Pierce, lesquels arrivaient des États-Unis par la poste.

«Il y avait un plan par morceau, et chaque plan arrivait au compte-gouttes, explique Gabriel Dallaire, alors surintendant de chantier. Presque chaque matin, j'allais les chercher à Plattsburgh à moto avant 8h, pour éviter le dédouanement, et je revenais ensuite à Montréal.»

À son retour, les menuisiers coupaient les planches de bois au quart de pouce près. Fait intéressant, le Monstre est une des seules montagnes russes du monde à avoir été construite avec du pin de Douglas de Colombie-Britannique traité à l'arséniate de cuivre. Quoique plus coûteux, celui-ci offrait une résistance exceptionnelle et une durée de vie infinie.

Un projet de fou

La plus haute montagne russe en bois à double voie du monde a été «un monstre à installer», se souvient l'ingénieur responsable de la construction, Alain Vleminckx, de Martin&Vleminckx. «L'hiver, surtout, c'était assez difficile, avec le vent du fleuve, en plein mois de janvier.»

En tout, les travaux auront duré près d'un an et demi: le parcours numéro 2 a été terminé au mois de juillet 1985, et le parcours numéro 1 au mois de novembre de la même année.

«La dernière journée de travail a été particulièrement émouvante», se souvient Gabriel Dallaire, aujourd'hui âgé de 77 ans. «Quand je me suis assis dans le troisième wagon pour faire un tour, c'était vraiment spécial.»

Alain Vleminckx a été le premier à monter à bord. «C'était grandiose! Quand on travaille sur un projet d'une telle ampleur, à raison de 70 heures par semaine pendant des mois, on a toujours le coeur gros», dit-il.

Au final, plus de 600 employés auront mis la main à la pâte, et la construction du Monstre aura coûté près de 12 millions de dollars. «Aujourd'hui, avec le coût des matériaux et les coûts de main-d'oeuvre, construire un manège pareil coûterait au moins 30 millions de dollars», affirme Alain Vleminckx, spécialiste de la construction de montagnes russes.

Une popularité monstre

Après sa mémorable fête d'inauguration - à laquelle ont été conviés les médias et le maire Jean Drapeau sous une pluie de feux d'artifice -, le Monstre a rapidement fait les manchettes des journaux et les curieux n'ont pas tardé à venir l'essayer.

Certains soirs, l'affluence était telle que les employés de La Ronde devaient couper la file d'attente deux heures avant la fermeture du parc. Il leur arrivait même de repousser les heures de fermeture de quelques heures, pour s'assurer que tout le monde puisse faire un tour.

«La réaction a été extraordinaire. Les gens l'ont tout de suite aimé et l'aiment toujours autant après 25 ans, souligne Guy Tringle. Le Monstre n'a rien à voir avec les autres manèges de La Ronde, qui nous trimballent la tête n'importe comment. Le seul moyen de comprendre la sensation qu'il procure, c'est de l'essayer.»