Souvent résumés à des bunkers, des réserves de boîtes de conserve, des individus surarmés et des craintes de fin du monde, les survivalistes sont en réalité bien loin de cette image. Au Québec, la plupart redoutent des conditions climatiques qui les couperaient des ressources habituelles. Et ils se préparent à pouvoir tenir le plus longtemps possible. Rencontres.

Anticiper pour vivre en autarcie

« J'ai hâte de voir l'article qui va dire qu'on est tous des fous dangereux racistes paranoïaques... » « Sans oublier fou dangereux avec des armes de guerre. » À la suite d'un appel publié sur un groupe Facebook de survivalistes pour recueillir des témoignages en vue de cet article, les réponses sont glaciales. Et pour cause : les survivalistes craignent un traitement à l'emporte-pièce et redoutent de passer pour ceux qui jouent les Cassandre.

« Le traitement médiatique des survivalistes ne correspond pas à la réalité des choses, explique Bertrand Vidal, sociologue français, spécialiste des catastrophes et auteur du livre Survivalisme, qui vient de paraître au Québec. Ils sont résumés par les médias à leur imaginaire, à leurs fantasmes, à leurs fabulations. Ils sont pourtant très rationnels. »

Parmi les rares survivalistes qui ont accepté de répondre, Benoît*, 60 ans. Dans sa maison secondaire, tout a été pensé pour vivre de façon autonome à long terme. Ce chef d'entreprise se présente comme « un survivaliste haut de gamme, extrêmement bien équipé et organisé ». Il y a six ans, il a acquis un terrain de 300 acres dans les Laurentides. Il y a fait construire sa maison secondaire, à l'image de l'idéal survivaliste. Dans le jargon de la communauté, on parlerait de « base autonome durable », un endroit de repli dans lequel on peut être autonome à long terme.

À première vue, rien ne distingue sa bâtisse d'une maison classique. La résidence est parfaitement entretenue, luxueuse et confortable. Mais à y regarder de plus près, les mots de Benoît étaient idoines : il est effectivement paré à un lendemain incertain. Sur sa propriété, il dispose de grandes ressources forestières, d'un lac privé, d'un grand potager et d'un verger, de ressources en énergie, d'une source, d'un barrage à castors... Bref, de quoi être autonome pour faire face à une situation de crise.

Les survivalistes ont des préoccupations bien différentes. Certains craignent une catastrophe environnementale, une rupture d'approvisionnement en eau ou en électricité, un effondrement économique, une pandémie, un accident industriel, une faillite de l'État ou des banques... Ce que redoute Benoît ? Une tempête de neige, un tremblement de terre qui interromprait le système électrique ou un piratage de grande ampleur qui ferait tomber le système bancaire.

Autonomie alimentaire et énergétique

Ce survivaliste de longue date a tout prévu pour vivre en autarcie et rester le plus longtemps possible dans sa maison en cas d'événement majeur. Il a mis un point d'honneur à avoir son autosuffisance alimentaire. Dans sa cuisine, il dispose d'un garde-manger dans lequel il stocke des provisions qui se conservent longtemps. Plus impressionnant encore, à l'étage de son garage, une pièce entière est vouée à ses réserves. Il a minutieusement rangé des sacs de riz, de pâtes, d'épices, de sauces... Et prend soin de remplacer les denrées lorsque la date de péremption est dépassée. « Je pense avoir un an de réserves alimentaires pour huit personnes », indique-t-il.

Et tout a été pensé dans les moindres détails. « Nous avons même un gâteau pour célébrer un anniversaire. Finalement, il ne nous resterait que la radio pour savoir que d'autres sont dans le pétrin ailleurs », plaisante Nancy, 48 ans, la compagne de Benoît. Elle se décrit plutôt comme « insouciante, artiste et rêveuse ». « Je n'avais même pas de réserve d'essence en arrivant ici ce matin !, dit-elle en souriant. Mais je savais que Benoît pourrait m'en fournir en arrivant. Mon sac à dos de survie, c'est lui. C'est rassurant d'avoir quelqu'un comme lui dans sa vie. »

Dans son salon, le survivaliste a entreposé sa collection de livres en lien avec la survie. S'il n'est plus en mesure de se procurer de la nourriture, ce chasseur trappeur saura se débrouiller avec ce que la nature lui offre. Ours, chevreuil, dinde, castor, vison, coyote, perdrix... Il a également des poules et des lapins sur son terrain. Il dispose d'un lac privatif, dans lequel il a fait mettre 500 truites mouchetées, qu'il peut pêcher. Quant à l'eau, il dispose d'un puits et d'une source qui coule 24 heures sur 24, 365 jours par an.

Autour de la résidence de Benoît, il y a une épaisse forêt avec de nombreux érables. Ainsi, il produit son propre sirop, sa tire et son beurre d'érable dans la cabane à sucre installée dans sa bâtisse. « Si le système bancaire tombe et qu'on doit revenir au troc, avoir une ressource à échanger, comme l'érable, est important », avance-t-il.

Enfin, pour ce qui est de l'énergie, Benoît s'est équipé d'une importante génératrice, d'une grande quantité d'essence (1300 litres) et de diesel (5000 litres). Il se chauffe au bois, et a déjà de nombreuses réserves grâce à sa zone boisée. « J'ai également acquis un panneau solaire de 300 W qui pourra alimenter la lumière, indique-t-il. Et j'aimerais installer une turbine électrique dans la rivière qu'il y a sur le terrain. »

Un point de chute pour la famille

Mais d'où vient ce besoin de tout anticiper, érigé en philosophie de vie ? À 13 ans, il lisait déjà Le guide du trappeur. « Mon père a fait la Seconde Guerre mondiale et ça m'a un peu traumatisé d'entendre ces histoires sur les gens qui manquaient de tout », confie le grand bonhomme. La crise du verglas de l'hiver 1998 l'a conforté dans l'idée qu'il fallait se préparer. Avec tout cet équipement, il pourrait même venir en aide à des particuliers aux alentours, si les autorités n'arrivent pas à faire face à la situation.

Sa maison a été pensée comme un point de chute pour la famille. Ses quatre enfants savent qu'en cas de crise, ils peuvent tous s'y rejoindre. Au total, 10 personnes peuvent être logées sur place. « On néglige le côté social d'une crise, estime Nancy. Grâce à toute cette anticipation, on se retrouverait ici dans une atmosphère sécuritaire et confortable. D'autres, qui n'auraient rien prévu, seraient déprimés et apeurés... »

Le prochain objectif de Benoît est ambitieux : construire 12 chalets autonomes et créer une communauté sur son terrain, avec des particuliers qui auraient chacun une expertise. « Il y aurait par exemple un médecin, un biologiste, un mécanicien... Tous auraient les mêmes valeurs, on se compléterait et on serait plus efficaces », explique-t-il.

*En cas de crise, les survivalistes pensent pouvoir faire l'objet d'attaques de personnes qui n'auraient pas de ressources. C'est pourquoi Benoît a demandé que son nom de famille ne soit pas publié.