Y a-t-il de l'espoir pour ceux qui chantent faux et qui, sans vouloir devenir Pavarotti, aimeraient au moins apprendre à pousser la chansonnette sans pousser leur entourage vers la sortie?

De l'espoir pour ceux qui faussentLe chef de choeur fait taire la chorale. Tous les regards se tournent vers celui qui ne cesse de fausser depuis le début et qui vient de dénaturer totalement la ligne mélodique. Celui-ci avale de travers devant ces regards désapprobateurs et abandonne immédiatement toute idée de pouvoir un jour chanter juste.

Il y a toutefois de l'espoir pour ce paria de la chanson: oui, il est possible d'apprendre à chanter juste. Cependant, il faut travailler fort. Et longtemps.

Isabelle Peretz, professeure à l'Université de Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada en neurocognition de la musique, note que la très grande majorité de la population, soit environ 90 %, chante juste. Pourquoi a-t-on parfois l'impression qu'il y a beaucoup de personnes qui faussent? Parce qu'ils ressortent du lot, précisément.

«S'ils étaient plus nombreux, on ne les remarquerait plus», fait-elle valoir.

Pour arriver à ce chiffre de 90 %, l'équipe de Mme Peretz a procédé à une petite expérience: un étudiant a parcouru les parcs de Montréal en expliquant que c'était son anniversaire et qu'il avait fait le pari de recueillir un grand nombre de Gens du pays chantés par monsieur et madame Tout-le-Monde.

«Certains chantaient franchement faux, mais il ne s'agissait que de 10 % des gens, maximum», affirme Mme Peretz.

Une question de technique

C'est la première bonne nouvelle. La deuxième, c'est que s'ils s'entendent fausser, ils peuvent se corriger.

Dans de très rares cas, soit 3 % de la population, la personne ne distingue pas la hauteur des sons. On parle alors d'amusie. Mais pour les autres, il y a de l'espoir.

«Tout ce qui est technique vocale peut s'apprendre», assure Dominique Primeau, professeure au département de musique de l'Université du Québec à Montréal.

Il y a quelque chose d'inné dans les habiletés musicales, mais jusqu'ici, la recherche semble montrer que le rôle de l'environnement est prépondérant, indique Mme Primeau. «Il y a des familles où tout le monde chante, observe-t-elle. Je pense à Céline Dion. Elle est tombée dans la potion magique quand elle était petite. Elle n'a pas commencé à chanter à 12 ans, mais probablement vers 5 mois.»

Geneviève Bazin, professeure de chant qui se spécialise notamment dans la résolution des problèmes vocaux, est catégorique. «Du point de vue de la physiologie, tout le monde peut chanter», soutient-elle. Il s'agit d'apprendre à créer une bonne coordination entre le muscle respiratoire [la gestion du souffle] et la mécanique d'ouverture et de fermeture des plis vocaux. Il ne s'agit pas juste de sortir la note, mais de la soutenir, la garder.»

Il y a plusieurs choses à apprendre: respirer de manière abdominale, contrôler la tension des muscles qui entourent le larynx, etc.

«C'est sûr qu'il y a des gens qui ont plus de talent, mais au niveau de la mécanique pure, tout le monde peut chanter», affirme Mme Bazin. Elle ajoute qu'il y a également moyen d'entraîner l'oreille, notamment avec des exercices de solfège et de dictée musicale.

Dominique Primeau, de l'UQAM, rappelle d'ailleurs qu'il faut prendre le temps d'écouter. «Il y a des gens qui n'ont jamais appris à écouter, ou encore qui ne prennent pas le temps d'écouter la référence, d'entendre la musique, avant de se mettre à chanter.»

Elle ajoute que certains ne se sont jamais entendus. «À partir du moment où on les enregistre et où on les fait s'entendre, ils commencent à réaliser qu'ils ne chantent pas juste. Ils vont réapprendre à chanter en comparant ce qu'ils entendent dans leur tête et ce qu'ils produisent comme son.»

Un professeur plutôt que YouTube

Le site YouTube regorge de petites vidéos qui ont pour but d'aider les gens à chanter juste. «C'est bien difficile de séparer le bon grain de l'ivraie, affirme Mme Primeau. En fait, je n'y crois pas trop. Je n'y ai pas trouvé de bons didacticiels.» Selon elle, il est préférable d'aller voir un professeur de chant et d'avoir du coaching individuel.

Carole Senécal enseigne le chant depuis quelques années. Elle estime qu'il y a plusieurs choses à faire pour aider les gens qui faussent. «En tant que prof, il faut établir un climat de confiance, déclare-t-elle. Je ne mets pas nécessairement tout de suite l'accent sur la justesse de la note.»

En effet, ça pourrait être contre-productif. Cela pourrait stresser davantage la personne et l'amener à resserrer les muscles autour du larynx. Elle fausserait encore plus.

«Nous travaillons d'abord sur la voix, sur la qualité du son, indique Mme Senécal. Nous travaillons le soutien, la respiration. Souvent, ça se place.»

Elle veille également à travailler d'abord dans un registre confortable pour l'élève. «Ça ne sert à rien de faire des exercices avec des notes qu'il n'est pas capable de chanter. Nous partons avec des notes qui sont confortables pour lui.»

Mme Senécal suggère également des applications comme Perfect Ear et Vocal Pitch Monitor, qui permettent à l'élève de visualiser la hauteur du son qu'il produit.

Pour un professeur, il est évidemment plus facile de travailler avec des gens qui ont déjà de l'oreille. Travailler avec quelqu'un qui fausse, c'est un défi. «C'est un travail un peu long, ardu. On parle de mois. Pour le professeur, ça demande un peu plus de créativité et beaucoup d'écoute.»

Certains professeurs refusent carrément les gens qui ne chantent pas juste.

«C'est triste, parce que ces gens-là veulent être aidés, lance Mme Senécal. Et fausser, ce n'est pas la fin du monde. Il faut chanter pour le plaisir, il ne faut jamais oublier ça.»

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Même pour ceux qui chantent faux, il est possible d'apprendre à chanter juste, à condition d'y mettre l'effort et le temps.

La première leçon de chant

La gestion du souffleNotre journaliste, qui fausse quelque peu, rencontre la professeure Geneviève Bazin pour savoir comment se passe une première leçon de chant. Elle se prête au jeu des vocalises.

Geneviève Bazin utilise de courtes vidéos pour montrer la différence entre les différents types de respiration (abdominale, thoracique et claviculaire). Elle amène l'élève à localiser la zone épigastrique à l'aide de ses mains afin de ressentir la respiration abdominale. Elle fait même coucher l'élève temporairement pour lui apprendre à maîtriser sa respiration. L'idée, c'est de se mettre à chanter à la fin de l'inspiration.

Commencer à chanterGeneviève Bazin commence à faire chanter de très courtes phrases musicales, deux notes pour commencer, puis trois, avec des «hou» ou des «ah», pour travailler sur la coordination entre la respiration et le chant. Il faut notamment arriver à chanter en gardant la zone épigastrique gonflée. Au début, le résultat est plutôt pénible à entendre: il est difficile de reproduire la note chantée ou jouée au piano et, surtout, de la tenir.

AgilitéLa voix est réchauffée, c'est le moment de s'attaquer à des phrases un peu plus longues et un peu plus complexes, avec des «ki» et des «ya». La professeure aborde de nouveaux aspects techniques: comment élever le palais mou en activant les pommettes (la zone zygomatique), par exemple, ou comment relâcher le dessous du menton. Il est un peu moins ardu de reproduire les bonnes notes.

Les notes gravesPour aborder les notes graves, Geneviève Bazin propose des phrases musicales descendantes, qui descendent de plus en plus. Au bout de quelques phrases, la voix ne suit plus. La professeure propose de «muscler» la voix en lui donnant plus de puissance. Comme si on voulait réveiller quelqu'un sur le balcon arrière de l'appartement.

Les notes aiguësPour les notes aiguës, Geneviève Bazin propose des phrases musicales en glissade, qui démarrent sur une note de plus en plus haute. Par la suite, la professeure passe à des notes piquées. Si l'élève est parfois un peu à côté de la plaque, elle parvient à atteindre plusieurs notes. Il y a progrès. Le premier cours s'est passé à une vitesse folle. Le temps a manqué pour chanter une vraie chanson. Ça viendra lors des prochains cours.

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Exercice pour apprendre à maîtriser la respiration