C'est bien connu: les marketeux et autres analystes de tout acabit raffolent des étiquettes. Après avoir longtemps associé une génération à un nom, après les boomers, les X et les milléniaux, voici les pérenniaux. Un groupe qui se fout des années, qui transcende les décennies et qui profite de la vie.

C'est à Gina Pell, une dynamique entrepreneure techno de San Francisco, que l'on doit le nouveau qualificatif (dérivé de pérennité, vous l'aurez compris) lancé en coup de gueule, il y a quelques mois, et qui ne cesse de faire jaser depuis. Dans un article publié dans sa lettre d'information The What (sorte de répertoire des meilleurs trucs à voir, lire, manger, découvrir), «Meet the Perennials», la femme (que l'on devine quadragénaire) dénonce la surmédiatisation de la génération des milléniaux, un terme fourre-tout et galvaudé, et en profite pour proposer une nouvelle cible - plus actuelle, selon elle - qui ne se bornerait pas aux années de naissance, mais engloberait plutôt les intérêts et surtout les comportements des gens.

«Je trouvais l'obsession des médias pour les milléniaux périmée, et surtout déconnectée de la réalité de notre société axée sur la technologie», explique-t-elle par courriel (faute de temps pour nous parler!).

«Si les entreprises les plus sophistiquées du monde comme Google, Facebook ou Amazon ciblent les gens selon leurs comportements, [...] pourquoi est-ce que nous, on devrait continuer de nous définir par quelque chose d'aussi trivial qu'une date de naissance?»

À l'inverse des milléniaux, nés grosso modo entre les années 1980 et 2000, les pérenniaux transcendent les générations et se distinguent par leur ouverture d'esprit, leur curiosité, bref, leur épanouissement perpétuel. En gros, ils se balancent de leur âge et vivent à fond leurs passions. «Les pérenniaux peuvent avoir de 8 à 108 ans, poursuit-elle par écrit, pourvu qu'ils soient conscients, informés et avertis. Les pérenniaux sont des gens pertinents quel que soit leur âge. [...] Ils défient les stéréotypes et ne se bornent pas à ce qu'on attend d'eux ou à des parcours de vie prédéfinis.» Par-dessus tout, dit-elle, ce sont des gens qui ne cessent de s'informer et d'apprendre. «La curiosité est l'essence même des pérenniaux.»

Son article lui a valu mille commentaires. Certains sceptiques lui ont reproché de créer un nouveau terme « fourre-tout », d'autres l'ont carrément insultée: «Avoue-le, t'es juste vieille», a-t-elle confié dans les pages du San Francisco Chronicle.

Mais elle se défend habilement. Non, tout le monde ne se qualifie pas, dit-elle: «Bien des gens ne seront jamais des pérenniaux, nous écrit-elle. Parce qu'ils se casent et apprécient leur confort. [...] Ils n'ont plus besoin d'apprendre de nouvelles choses, vivre de nouvelles expériences ou découvrir davantage le monde. Ils sont très bien là où ils sont. [...] Or, se caser, c'est l'antithèse de la philosophie des pérenniaux.»

En finir avec les stéréotypes

Le mot et surtout l'esprit semblent en interpeller plusieurs. Cette idée que nous nos sommes pas défini par notre âge, que nos choix (de vie ou simplement vestimentaires) ne sont pas régis par une règle générationnelle, fait écho à plusieurs autres montées de lait entendues récemment. On pense à ces prétendues listes de ce que peuvent ou non porter, dire ou faire les femmes passé 30 ou 40 ans, qui ont fait réagir la savoureuse blogueuse Phoebe Holmes (dans le Huffington Post). À lire, tout particulièrement si vous avez plus de 40 ans et que vous venez de vous faire tatouer.

«J'ai la quarantaine, je vis entourée d'ados et j'en ai plus qu'assez de ces foetus sur internet qui me disent quoi faire.»

Les «foetus» étant ici, vous l'aurez deviné, encore une fois des milléniaux!

«Ne pas se préoccuper de son âge, c'est fabuleux! Et ça interpelle aussi toute la génération des 40-60 ans», confirme Sandra Peat, cofondatrice d'une agence de communications stratégiques britannique, Super Human, qui a réalisé une vaste enquête auprès de 500 femmes, cette année, sur toutes ces questions de générations, de stéréotypes et d'identification.

Verdict? La quasi-totalité des femmes de 40 à 60 ans sondées, dites «mûres» dans le jargon («middle-aged»), ne se considère pas du tout comme tel.

Parce qu'elles ont eu des enfants plus tard, sont hyper éduquées, souvent fortunées et qu'elles souhaitent vivre à fond («ce n'est pas exclusif aux milléniaux», glisse-t-elle en entrevue, depuis Londres), elles ne se retrouvent pas du tout dans le stéréotype de la femme flétrie, aux cheveux gris, révèle son enquête.

«Cette génération, qui correspond aussi à la génération rave au Royaume-Uni, est très proche de la culture des jeunes, dit Sandra Peat. D'ailleurs, on ne dit plus la culture des jeunes, mais la culture tout court.»

En témoignent les choix des vêtements (qu'on ait 62 ou 26 ans, les looks sont désormais souvent «exactement les mêmes»), mais aussi les modes de vie, même les maladies.

«La plus forte augmentation des ITS [infections transmissibles sexuellement], c'est chez les 50 ans et plus, désormais divorcés et actifs sexuellement!»

N'importe quoi?

C'est indéniable: de plus en plus, les observateurs confirment que les modes de vie transcendent les générations. La technologie et la mondialisation aidant, la hausse de l'espérance de vie aussi. «On tient de plus en plus pour acquis qu'un jeune né dans les années 80 peut avoir le même mode de vie qu'un baby-boomer», confirme Arnaud Granata, éditeur d'Infopresse.

Et pour cette raison, l'appellation «pérenniaux» est à plusieurs égards assez «représentative», concède-t-il.

De là à gommer les étiquettes générationnelles et à nier les différences démographiques, il y a un pas qu'il n'est toutefois pas prêt à faire. «On crée un autre problème, commente-t-il. Si on ne distingue plus les groupes d'âge, mais les styles de vie, on recrée une forme de carcan.»

«Le problème avec les milléniaux, c'est que le terme a été surutilisé, à toutes les sauces, c'est devenu un fourre-tout pour parler de gens influents, conclut-il. Or, les milléniaux ne sont pas tous identiques. Avec le mot "pérenniaux", c'est aussi réducteur, mais d'une autre façon. [...] "Pérenniaux", c'est un peu tout et n'importe quoi», tranche-t-il.

En chiffres

> 90 % des femmes de 40 à 60 ans considèrent qu'elles ont une attitude et un style beaucoup plus jeunes que leur mère au même âge.

> 84 % ne se définissent pas par leur âge.

> 84 % consomment des produits et services qui ciblent des femmes plus jeunes.

> 81 % ne se reconnaissent pas dans les stéréotypes associés à leur âge.

> 78 % disent vouloir explorer et vivre de nouvelles expériences.

> 67 % ont l'impression de vivre les meilleures années de leur vie.

> 67 % se disent plus ambitieuses qu'il y a 10 ans.

> 63 % voient l'avenir d'un bon oeil.

Source: Sondage britannique réalisé auprès de 500 femmes de 40 à 60 ans en janvier 2017 par l'agence Super Human.

Quatre choses à savoir sur les pérenniaux

Pas de stéréotypesLes pérenniaux refusent de se comporter selon des stéréotypes démographiques. «J'ai un voisin de 87 ans qui va au festival Burning Man et qui a une vie plus active et aventurière que bien des gens de 40 ans que je connais», illustre Gina Pell.

Regarder vers l'avantLes pérenniaux ne sont pas des gens qui font ou agissent selon ce qu'on attend socialement de leur âge. Ce ne sont pas des gens de 40 ans qui se bornent à leur rôle de parents, oubliant au passage leurs amis, leur carrière ou leurs passions. Ce ne sont pas non plus des gens de 60 ans qui passent leurs journées à ressasser le passé. «Ce sont des gens qui regardent vers l'avant!»

Sortir de la zone de confortLes chansons enregistrées par Tony Bennett et Lady Gaga sont de bons exemples de «collaboration entre pérenniaux», selon Gina Pell, puisqu'il s'agit de deux artistes talentueux ayant travaillé ensemble pour faire un disque tout en sortant de leur zone de confort.

De Justin Trudeau à Emma WatsonQuelques exemples de pérenniaux: Justin Trudeau, Ellen DeGeneres, Lena Dunham, Sheryl Sandberg, Michelle Obama, Emma Watson ou Bernie Sanders. Il s'agit de personnalités qui, peu importe leur âge, prennent des risques, s'engagent, restent curieux, passionnés et créatifs, selon Gina Pell.

Photo Jim Urquhart, Archives Reuters

Selon Gina Pell, qui a créé le terme, les «pérenniaux» transcendent les générations et se distinguent par leur ouverture d'esprit, leur curiosité, bref, leur épanouissement perpétuel.