Se baigner dans un lac ou une piscine sous les chauds rauons du soleil, c'est un plaisir pour la plupart des gens. Mais pour certains, c'est un cauchemar. Plongée dans le monde de l'hydrophobie.

Comme bien des phobies, la peur de l'eau a un petit quelque chose d'instinctif.

«C'est comme la peur du sang, la peur des araignées, ça a un aspect lié à l'évolution», affirme la Dre Luisa Cameli, directrice de la Clinique de santé émotionnelle (Thérapie cognitivo-comportementale) associée au Centre universitaire de santé McGill. «Jusqu'à un certain point, c'est quelque chose d'utile.»

La peur de l'inconnu peut aussi jouer un rôle. Bien des gens n'ont pas eu la chance d'avoir accès à des cours de natation.

«Parfois, on ne voit pas ce qu'il y a sous l'eau, note la Dre Cameli. C'est l'inconnu.»

Mais souvent, la crainte de l'eau émane d'une expérience malheureuse: une chute dans l'eau, une quasi-noyade, un cours de natation particulièrement stressant.

«Ça peut être quelque chose qu'on a vécu ou quelque chose qu'on a vu, comme quelqu'un d'autre qui se fait pousser dans l'eau contre son gré.»

Ce qui est important, ce n'est pas tant l'âge de la personne lors de l'événement négatif mais le fait d'avoir eu, ou non, une expérience positive auparavant.

«Quelqu'un qui nage déjà, qui aime l'eau, aura probablement plus de facilité à y retourner [après un incident négatif] par rapport à quelqu'un qui n'a pas encore eu une expérience positive», affirme la Dre Cameli.

Un autre facteur peut déclencher la peur de l'eau: l'attitude de modèles, comme les parents.

«Les parents qui ont peur de l'eau eux-mêmes peuvent transmettre cette crainte par des messages verbaux [c'est dangereux, n'approche pas] ou non verbaux.»

La crainte de l'eau peut avoir des répercussions sur la vie des gens: les enfants ne peuvent pas aller jouer avec leurs copains à la piscine ou sur la plage, les adultes évitent les «partys de piscine», les parents ne peuvent pas aller jouer dans l'eau avec leurs enfants.

Étape par étape

Selon la Dre Cameli, on peut combattre la peur de l'eau avec une thérapie de type cognitivo-comportementale.

«C'est axé sur la désensibilisation, indique-t-elle. La personne peut aussi le faire elle-même. L'idée, c'est d'aller graduellement.»

La première étape, c'est d'évaluer la situation.

«Il faut essayer de situer sa peur sur une échelle de confiance dans l'eau. Ce n'est pas tout ou rien.»

Certains se sentent à l'aise dans une piscine, mais pas dans la mer. Certains peuvent avoir de l'eau jusqu'aux chevilles ou jusqu'à la taille, etc.

Ensuite, il faut travailler sur les pensées, essayer de voir la situation de façon réaliste. Par exemple, l'enfant a peut-être mal compris le message de sécurité.

«On lui a dit que d'aller dans l'eau, c'est dangereux, explique la Dre Cameli. Mais la réalité, c'est plutôt que d'aller dans l'eau quand on est seul, ça peut être dangereux. Pousser quelqu'un dans l'eau, ça peut être dangereux. Plonger quand on ne connaît pas la profondeur, ça peut être dangereux. Il y a plein de situations qui peuvent être dangereuses, mais c'est différent de simplement aller dans l'eau.»

Enfin, on peut passer à l'action, graduellement, quitte à commencer à apprivoiser l'eau dans le bain ou la douche.

«Sous la douche, on peut mettre des lunettes de natation et un pince-nez et se mettre de l'eau dans le visage. Dans le bain, on peut faire des bulles en se mettant uniquement le menton dans l'eau.»

Elle suggère de rendre la chose le plus agréable possible, quitte à mettre de la musique et à allumer des bougies.

Par la suite, on peut aller à la piscine avec un ami, à un moment tranquille.

«On se met les pieds dans l'eau. On se met de l'eau sur les jambes. On peut utiliser des objets, un ballon flotteur ou un tube. L'important, c'est de le faire graduellement et de faire des répétitions.»

À la Croix-Rouge, on n'a pas de programme spécifique pour les adultes qui ont peur de l'eau, mais les programmes de natation pour adolescents et adultes débutants sont très appropriés, fait valoir Sylvie Santerre, coordonnatrice senior du programme de natation de la Croix-Rouge.

Au début, les gens qui ont peur de l'eau peuvent simplement demeurer sur le bord de la piscine à regarder les autres, ou se mettre à l'eau et s'accrocher au bord, ou à une planche, avec un gilet de sauvetage, le temps de s'habituer à l'environnement. La personne ne sera pas forcée de se mettre la tête dans l'eau.

«Les cours pour adultes seront souvent à des heures où il n'y a pas d'enfants, note Mme Santerre. C'est un peu plus calme.» 

«Lorsque la personne veut voir si elle a peur de l'eau, ce n'est pas le moment d'avoir un jeune à côté qui court et qui fait une bombe.»

Au YMCA, on s'organise pour avoir un ratio d'un instructeur/un nageur lorsque la personne signale qu'elle a vraiment peur de l'eau.

«Si ça prend 35 minutes pour entrer dans l'eau au premier cours, ça prend 35 minutes», indique Andrew Cox, directeur des programmes aquatiques au YMCA-Québec.

Par la suite, l'adulte progressera à son propre rythme, en fonction de ses objectifs: vaincre sa crainte de l'eau, apprendre à nager le crawl, récupérer sa forme physique grâce à la natation.

Pour vaincre la peur de l'eau, il n'y a pas de solution miracle, indique la Dre Cameli.

«Ce n'est pas comme quelqu'un qui a peur de l'avion et qui peut prendre de l'Ativan [un médicament de la classe des benzodiazépines, utilisé pour soulager l'anxiété], lance-t-elle. Pour aller dans l'eau, de l'Ativan, ce n'est pas une bonne idée!»

Photo Thinkstock

L'alpiniste qui jadis coula à pic

Gabriel Filippi Alpiniste et conférencier, 56 ans

L'alpiniste québécois Gabriel Filippi s'apprête à participer au Triathlon extrême CanadaMan/CanadaWoman à Lac-Mégantic, le 9 juillet prochain. Léger problème, il n'a pas nagé depuis son dernier Ironman, à Tremblant, en 2012.

«Il va falloir que je me remette à l'eau à un moment donné», soupire-t-il.

M. Filippi, qui a gravi l'Everest à deux reprises, a peur de l'eau. «Tant que je touche le fond, je n'ai pas de problème, mais dès que je n'ai plus pied, c'est la panique.»

Il fait remonter cette peur à une expérience malheureuse dans la piscine familiale, alors qu'il est encore tout jeune: son père l'invite à sauter à l'eau en lui promettant de l'attraper. Le petit Gabriel saute mais son père le laisse couler à pic, pour ne le repêcher qu'après de longues secondes de panique pure.

«C'est vraiment à partir de ce moment-là que le blocage s'est fait.»

Quelques années plus tard, sa mère l'inscrit à des cours de natation à la piscine municipale. Au début du premier cours, l'instructeur demande à la douzaine de jeunes de se jeter à l'eau dans le bassin le plus profond.

«Nous sommes 12, je ne flotte pas, j'ai l'impression que le reste de la gang ne flottera pas non plus. Je fais un 180 degrés, je repars à la maison et je dis à ma mère que c'est fini.»

Beaucoup plus tard, après avoir atteint le sommet du mont Everest du versant sud, puis du versant nord, on lui demande ce qu'il fera par la suite. «Je vais faire mon Everest, répond-il. Je vais apprendre à nager et je vais faire un Ironman.»

Il y met les efforts avec une entraîneuse compréhensive: des semaines d'entraînement, six jours par semaine, deux heures et demie par jour dans la piscine.

Le début de l'Ironman de Panama City, en Floride, est quand même pénible. «Je sens mon coeur qui bat à 300 après sept ou huit coups de bras.»

Il s'arrête, s'accroche à un kayak, repart, s'arrête à nouveau. Puis, il prend de l'assurance et se met à nager les 3,8 kilomètres réglementaires. Il est le dernier à sortir de l'eau. Ça ne l'a pas empêché de récidiver en 2012. Cette fois-ci à Tremblant.

Encore aujourd'hui, l'alpiniste demeure mal à l'aise dans l'eau. S'il s'est inscrit au triathlon extrême de Lac-Mégantic, c'est qu'il est né dans cette communauté, qu'on l'a nommé ambassadeur et qu'il croit au projet.

«Je trouve ça important pour la relance économique. Comme ambassadeur, je ne veux pas simplement être un poster boy, je veux m'impliquer.»

C'était la motivation essentielle pour retourner à l'eau.

Photo tirée du compte Facebook de Gabriel Filippi

Même s'il a escaladé l'Everest deux fois, Gabriel Filippi demeure intimidé par l'eau.

La navigatrice qui n'aime pas l'eau

Mylène Paquette, communicatrice et conférencière, 38 ans

Mylène Paquette a traversé l'Atlantique à la rame. Naviguer sur l'eau, c'est quelque chose qu'elle aime. Mais aller dans l'eau ? Pas question.

«Je n'ai jamais aimé l'eau, je n'ai jamais aimé me baigner, raconte-elle. Le plus loin que je me souvienne, lorsque ma mère me mettait dans le bain, j'en ressortais dès qu'elle avait le dos tourné.»

Puis, encore toute petite, elle se plante devant la télé, tourne les postes pour tomber subitement nez à nez avec la gueule grande ouverte de Jaws, Les dents de la mer.

«Aujourd'hui, ça paraît tellement que ce n'est pas un vrai requin, que c'est arrangé avec le gars des vues, mais quand tu es très jeune, tu ne peux pas faire la part des choses», raconte-t-elle.

C'est le traumatisme.

«Encore aujourd'hui, j'ai peur d'un requin, même dans une piscine. J'ai l'image du requin qui me poursuit alors que j'essaie de sortir de l'eau.»

Petite, elle acceptait d'aller dans l'eau, mais seulement si sa soeur y allait avec elle.

«Je me disais qui si j'étais seule dans l'eau, j'avais 100 % de chance de me faire manger alors que si on était deux, c'était moins pire.»

À l'adolescence, elle a pris son courage à deux mains pour apprendre à faire du ski nautique afin de s'amuser avec les autres.

«Mais je ne faisais pas de niaiseries pour ne pas tomber, j'essayais de rester sur mes skis, raconte-t-elle. S'il y a un plaisir associé, j'étais capable d'affronter la peur. Mais juste nager, être dans l'eau, ça ne m'intéresse pas.»

Lorsqu'elle a commencé à naviguer, elle s'est forcée à apprendre à nager. Son instructrice a décrit son style comme étant «efficace, mais pas élégant».

Pendant sa grande traversée, il était primordial de pouvoir sauter à la mer pour racler la coque de son bateau et ainsi le débarrasser des coquillages qui le ralentissaient.

«Je m'étais préparée psychologiquement, je faisais de la visualisation. Je pensais plus à Nemo qu'à Jaws

Il a fallu qu'elle s'y reprenne à plusieurs reprises pour arriver à gratter la coque de son bateau.

«Je n'ai pas eu de fun, raconte-t-elle. Lorsque je suis immergée, j'ai un sentiment de vertige, je suis étourdie.»

Mylène Paquette poursuit quand même son étrange relation amour-haine avec l'eau: elle participe maintenant à des courses de canot à glace.

Photo Jean-Sébastien Evrard, Archives Agence France-Presse

Mylène Paquette à bord de son embarcation. La Québécoise a traversé l'Atlantique à la rame il y a quatre ans.

La sirène qui ne veut pas nager

Valérie Bilodeau, enseignante et blogueuse, 39 ans

Lorsqu'une copine lui a proposé une séance de nage avec une queue de sirène, Valérie Bilodeau a accepté le défi. Même si elle a une peur «solide» de l'eau.

«Je tiens un blogue pour aider les gens à trouver un sport qu'ils aiment, raconte Mme Bilodeau. Il faut que je me place dans différentes situations, je ne peux pas faire uniquement des choses qui me plaisent. Je me suis donc dit: c'est un nouveau défi, Val, on y va.»

Valérie Bilodeau ne sait pas vraiment d'où vient sa crainte.

«Ma mère a toujours eu peur de l'eau. Est-ce qu'un trait de caractère, ça se transmet de génération? Est-ce qu'une peur se transmet aussi?»

Il y a aussi eu un événement fâcheux aux glissades d'eau, alors qu'elle avait 7 ou 8 ans et qu'elle craignait déjà l'eau.

«Je suis dans un tunnel qu'on appelle la trompe de l'éléphant. J'ai beau pointer les pieds par en haut, sur le côté, j'ai de l'eau qui me revole dans la face, j'ai de la misère à respirer.»

Encore maintenant, elle fait bien attention pour ne pas avoir de l'eau dans le visage lorsqu'elle prend sa douche.

Elle a appris à nager, mais sur le tard, essentiellement pour pouvoir aller jouer dans l'eau avec ses enfants. «Ce n'était pas une partie de plaisir. Encore maintenant, je ne nage pas très bien. J'ai tellement peur, ça n'aide pas. C'est la panique qui embarque, surtout si les pieds ne touchent pas au fond.»

L'été, il faut qu'il fasse vraiment chaud pour qu'elle se baigne. «Si je vais à mon rythme, je peux gérer, mais ne me pressez pas, ne faites pas de bombe à côté.»

La petite séance de natation avec une queue de sirène a été pour le moins épique. «Avant même d'entrer dans l'eau, je panique», se rappelle Mme Bilodeau.

L'organisatrice lui offre de prendre une nouille de piscine, ce qu'elle accepte avec reconnaissance.

«OK, quelque chose qui flotte, ça va. Mais l'eau me rentre dans la face, je n'aime pas ça. Je dépense tellement d'énergie, j'arrive la dernière à l'autre bout de la piscine, dans tous mes états, hors d'haleine. Mais je finis quand même par le faire!»

Valérie Bilodeau ne sait pas si un jour elle sera à l'aise dans l'eau.

«Mais j'ai décidé que j'étais tannée d'avoir peur de l'eau. Assez, c'est assez!»

Photo fournie par Valérie Bilodeau

«Je tiens un blogue pour aider les gens à trouver un sport qu'ils aiment, raconte Mme Bilodeau. Il faut que je me place dans différentes situations, je ne peux pas faire uniquement des choses qui me plaisent. Je me suis donc dit: c'est un nouveau défi, Val, on y va.»